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LE MOYEN AGE

CHALON-SUR-SAONE, IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE DE E. BERTRAND

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LE MOYEN AGE

REVUE

D'HISTOIRE a- DE PHILOLOGIE

SÉRIE.— TOME IV

(tome XIII DE LA collection)

PARIS

LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR

67, RUE DE RICHELIEU, AU PREMIER 1900

(Tous droits rèsercès)

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LA

SATIRE A ARRAS AU XIIP SIÈCLE

(suite ^)

Chansons et Dits artésiens du XIII' siècle, publiés avec une Intro- duction, un Index des noms propres et un Glossaire, par Alfred Jeanroy, pro- fesseur à rUniversité de Toulouse, et Henry Guy, maître de conférences à l'Université de Toulouse {Bibliothèque des Universités du Midi, fasc. II, Bordeaux, Féret et fils, 1898; in-8°, 165 p.).

Pièce XIV, p. 63. La richesse, c'est le jeu de la pelote les jeunes filles prennent leurs ébats: chacune veut l'avoir à son tour; on se la dispute, car qui la possède est en vue, en honneur et en joie, jusqu'à ce que^ changeant de mains^, elle porte ailleurs le prestige d'une faveur éphémère.

Le moraliste part de cette comparaison pour remonter de proche en proche à l'origine de certaines fortunes bourgeoises, invitant à de pieuses réparations ceux dont l'héritage paternel s'est accru de la « pelotte » d'autrui.

Six familles d'Arras sont ici représentées par quinze de leurs membres en succession généalogique; Huon Mouton marche en tête :

V. 37. Je vi ja un Huon Mouton : On ne le prisoit un bouton ; Au point k'il se maison covri Mainte angoisse au siècle souffri.

Errata. —Année 1899, p. 251, 1. 10, lisez : Jean Bretel. Moyen Age, t. XIII. 1

A. GUESNON

M. Jeanroy incline à voir dans « au point k'il se maison covri» l'idée de «se mettre en ménage' )).Ne serait-ce pas là, plus vraisemblablement^ une métaphore populaire s'appliquant au comble de la dernière demeure? J'interpréterais : « lorsque le tombeau se referma sur lui, » en rattachant par la ponctua- tion cette phrase au vers précédent, et non au suivant *.

Plus loin (v. 51), vient Ermenfroi Kiepuce, nommé dans une liste authentique de l'échevinage d'Arras en février 1200, V. st.'. On le retrouve inscrit, sous l'abréviation plus honnête d'Ermenfroi Puche, au bas d'un acte original de 1223*, et tout au long dans une enquête de 1247, insérée par M. L. Delisle au t. XXIV du Rec. des histor. de France. Le premier mourut en 1231% son fils, Ermenfroi le Tailleur, en 1262'.

Mathieu le Tailleur recueillit alors l'héritage patrimonial; il le possédait depuis peu quand ces vers furent écrits.

v. 57. Je vi ja Jaliemon le Noir ; Il a laissié tout sen avoir, Or l'a cil Jehans de Relenghe. Du testament cascuns i hengle.

Le Glossaire traduit « hengler » par « causer, faire des gorges chaudes ». Cette explication improvisée porte sur une

1. Glossaire, au mot Govrir.

2. Iluon Mouton possédait avant 1261 une maison au pouvoir des JVIaus ou de Baudimont vieux (B. N. Lat. 10972, Hostagia, i" 4). Wagbon Wion et Audefroi, deux de ses héritiers ici nommés, furent échevins de Cité, le premier en 12.56, Je second en 1275 (Arcii. du P.-de-C, Chapitre, Orig., et Mém. pour MM. Brlois d'Aïujre et d'Htdlnrli. Preuves, 1, p. 1.5,1780). Un autre Huon Mouton, peut être fils du précédent, prêtait de l'argent à la ville de Gand en 1277 (J. de Saint-Génois, Incent. des ch. des comtes de Flandre, n''203).

3. Arch. du Nord, Anchin. Orig.

4. Ibid., Ch. des Comptes. Orig.

5. Pour toutes les dates mortuaires dont la source n'est pas indiquée, voir le Nècrolorje de la Confrérie des jongleurs, et notre Communication aux Comptes rendus de l'Acad. des Inscr., année 1899, p. 464-475.

6. « Ermenfridus Cisor, civis Atrebatensis, dicit quod rex imbanniverat cm nia bona que fuerant Ermenfridi Kiepuce. »

LA SATIRE A ARRAS AU XII1« SIÈCLE 3

fausse lecture, que signale la rime : le ms. donne « henghe o, venant de « lienghier », onomatopée au sens de « soupirer, aspirer », comme ci-devant dans la pièce V, 24.

JakemonleNoir, bourgeois d'Arras', était, en 1260, créancier des villes de Calais', Montreuil-sur-Mer et Saint-Riquier'. 11 mourut l'année suivante, vers novembre 1261 . Jean de Relenghe, son héritier, que Fastoul qualifie « monseigneur* », paraît être Jean, sire de Renenges, chevalier, frère du châtelain de Saint- Omer, dont nous avons un acte d'août 1269 '.

Ailleurs, à propos de Jean Fourdin :

V. 62. On dist k'ii gist en sen gardin. Sen cors ne pris une baulleske ; Sen avoir reçut longue leske.

D'après le Glossaire\ ce dernier mot signifierait « bande mince et longue ». Mais le sens exige un nom propre, celui de l'héritier. Or, une enquête de janvier 1270 nous apprend que Jehan Longeleske était sous-bailli d'Arras, au mois d'août qui suivit le départ du comte d'Artois au delà des mers^ La leçon serait donc, avec l'orthographe du ms. :

Sen avoir reçut Longheleske.

Les vers suivants concernent M^" Adam de Vimi, clerc praticien, marié à la demoiselle de Miraumont, qui lui survécut. Il avait acheté en 1239 le fief seigneurial de Baudimont neuf, contigu à la terre de Baudimont vieux possédée par Saint-

1. Fils de Gérard le Noir, échevin d'Arras en 1201, 1222, 1225, nommé dans un fabliau de Courtois d'Arras (Méon, FubL, I, 259), mort le 24 avril 1228 (Bibl. d'Arras, ms. 305).

2. Arch. du Nord, Ch. des Comptes. Orig.

3. J. de Laborde, Layettes du Très, des Chartes, t. III, p. 506 et 545, coi. B.

4. Méon, FabL, \, p. 126, Congé, v.A2^.

5. Deschamps de Pas, Sifjill. de Saint-Omer, p. 29. Giry, Analyses et Extraits des Archives de Saint-Onier, p. 17.

6. Au mot Leske.

7. Arch. du Pas de-Cal. , Très, des Chartes, A, 18.

4 A. GUESNON

Vaast. Le fief s'appela dès lors « le pouvoir Maître-Adàm «, nom qui s'étendit à la rue et à la porte par on y accédait en venant de la rue des Maus. Cette ancienne rue Maître-Adam reliait la Cité à la porte Méaulcns.

A sa mort, en 1263, le fief fut vendu au comte d'Artois par Jean Maucliions et Marguerite de Vimy, sa femme, héritière du défunt. Leurs sceaux pendent à l'acte et ne permettent pas de lire « Mandons^ ». De môme, le sceau d'Adam de Vimi suffit à montrer qu'il ne peut être ici question d'Adam de la Halle =.

A signaler quelques corrections : v. 8, « belle » bêle; v. 19, (( Œguiet )) ŒgiveV ; v. 50, « peloke » piioke; v. 70, « ni )) TiH.

Pièce XV, p. 65. Les « gueudes » ou « carités » d'Arras viennent de loin; elles remontent aux origines mêmes de son organisation civile et industrielle.

Dès le XII® siècle, chaque métier avait sa confrérie, chaque saint patron sa clientèle corporative ou médicale.

V. 3. L'une est de saint Antone, li autre de saint Main... Li tierce est saint Mabiu, li quarte saint Tieton* ;

A défaut de légende appropriée à l'attribution, une simple

1. Index, au mot Mandons (ou Maucions). Voir Demay, Sceaux tZ'^r/oîs, n"' 689, 690.

2. Reproduit dans la Sigillogr. d'Arras, 366. Demay, ihid., n" 2591.

3. Oegivet, Sainteron, Mahalet, Wauteron, diminutifs de Ogive, Sainte, Mehaut et Wautiere, étaient des prénoms de femme alors très répandus. V. le Nccrolor/e des jongleurs, 1221, 1"; 1256, P''; 1270, 3^ 1270, 3'=; 1271, 2\ etc.

4. Le P. Ignace affirme gratuitement qu'une confrérie de Saint-Antoine fut établie à Arras en 1092. Bibl. d'Arras, ms. 1037, Mém. du dioc.^ t. IL p. 122. Ce qui est certain, c'est qu'au xv° siècle il y en avait quatre sous ce patronage : à Saint-Géry, Saint-Nicolas, Sainte-Croix et Saint-Nicaise. Arch. comm. d'Arras, Testaments .

La charité de Saint-Mathieu figure dans les comptes du bailli en 1304, 1306, 1332, etc., pour une rente de 4 deniers sur deu.Y mencaudées de terre à Becquerel. Arch. du Nord, Ch. des C. Jean de Celest en était doyen

LA SATIRE A ARRAS AU XIII« SIÈCLE 5

consonance équivoque fixait le choix populaire : saint An- thoine et « sen vérin », celui-ci naïvement canonisé saint Vérin % guérissaient l'érysipèle et le rouget; saint Main ou Méen de Gaël, la rogne et la gale; saint Mathieu et saint Mor les rhumatisants ' ; saint Etton, les vaches nourri- cières'.

Le chemin de l'étable conduit directement cette énumération facétieuse à la basse-com% l'ironie du poète va chercher le patron d'une charité nouvelle, plus miraculeuse encore que toutes les autres,

V. 7. Celle de saint Oison, le frère saint Gourdin. Mais nus n'i puet entrer son ne le set lordin.

Comme elle n'admet que des sots fieffés, la confrérie des engourdis et des lourdauds affectera le caractère des sociétés aristocratiques. A l'imitation de l'archiconfrérie de la Chandelle d'Arras, dont une allusion rappelle ici même le siège « ens en l'Euwillerie*, » les « bevées » s'y font au vin, à l'exclusion de

en 1388-89 (ibid.) et Jean Rollans clerc et doyen en 1397-98. Arch, comm . d'Arras, Quittances.

Saint Mein, est le patron d'Écoust^ canton de Croisilles, et saint Etton celui de Biefvillers, canton de Bapaume.

1. « Lequel enfant cheoit en maladie que l'en dit de saint Othoine et de saint Vérin. «—Arch. nat., JJ, Reg.135, p. 225. l.e sanctus Veranusdu Marti/rolof/e, 10 septembre, ne peut être associé à saint Antoine que par équivoque.

2. Donnez au pauvre qui languit

Du mal saint Fiacre en grant dolour, De saint Mor et de saint Mahieu.

E. Deschamps (dans La Curne).

3. G.Gazet, Hist. enclés., p. 63 etl56.

4. La rue de l'Euwillerie (de l'Aguillerie^ de l'Aguilletrie), aujourd'hui des Grand-Viéziers, tirait son nom des fabriques d'aiguilles que le Cartul. de Guiman y signale dès 1170 (p. 201) : « Domus Villelmi qui acus facit. » Elle aboutissait au préau et à la salle de la confrérie des Ardents : « Wal- terus de Ransart pro domo sua en l'Aguillerie ante halam Ardentium, ij s. in Nat. » B. N., ms. lat. 10972, Hosta;/ia. Ceailloir des rentes fonc . de l'église N.-D. renouvelé en 1231, t" 25.

6 A. GUESNON

la cervoise, et le grand banquet de Pentecôte aux gras oisons rôtis \

Descchevins et un doyen l'administrent, un maire la préside, désigné par le sort suivant un mode d'élection que deux mots obscurs déjà vus laissent encore inexpliqué :

V. 55, Il nos convenra prendre quatorze bielos

Et quinze -pauicellons : cil jeteront les los; Sour qui il escara, si en ferons maieur.

Il va de soi que les candidats abondent. L'auteur les fait défiler devant nous en exposant complaisamment leurs titres * c'est à cette revue satirique qu'il voulait en venir.

Cependant sa fantaisie malicieuse ne se borne pas à cette première fiction ; il imagine d'y joindre, comme contre-partie, une congrégation de femmes sous la règle de sainte Auweline, qu'il place^ on se demande pourquoi^

V. 74. Ens en un grant mares qui est dehors Corbie.

U Index a cherché en vain sainte Auweline dans le martyro- loge; elle ne s'y trouve pas, et pour cause: une « auwe » est une « oie » et Auv^eline, le féminin d'Oison, patronage symbo- lique certainement étranger à l'idée « de personnes peu recom- mandables par leur caractère ou leurs mœurs ^ » .

Cette vengeance de plume aurait eu pour cause, à ce qu'il paraît, certains froissements rapportés de Montdidier par notre ménestrel :

V. 97. J'eslesisse nounain, se Diex me puist aidier,

Se ne fust li pesance que j'euc à Mondisdier. /

1. Le vin de la guilde des marchands et de celle des monnayeurs est rappelé en 1170 dans le CartuL de Guiman, p. 1!)1. Le règlement de la Confrérie de Saint-Dominique des barbiers, de 1247, prohibe le vin et n'au- torise que la cervoise : « F]t à le bevée ne goustera de vin ne maires ne eschevins sor iiij den. de fourfait, et li maires sor viij den. » Celui de la Confrérie des Ardents, du xiv' siècle, entre dans de grands détails au sujet de la répartition des lots de vin et des oisons pour les trois jours de la fête.

2. Index, au mot Auweline.

LA SATIRE A ARRAS AU XIII<^ SIÈCLE 7

Serait-ce la joute rappelée dans le Jeu de la Feuillée:

V. 725. lîien i parut a Mondidier

S'il jousta le miex ou le pis.

On peut s'étonner que la question n'ait pas été posée; elle mérite de Têtre, bien que le vague des synchronismes fournis par les noms cités la laisse encore indécise.

Il semble, en effet, d'après le Nécrologe des jongleurs, que ce Mathieu le Tailleur (v. 96), soit mort vers la fin de l'année 1257. Mais on a vu dans la pièce précédente un autre Mathieu, fils d'Ermenfroi, vivant en 1263. .Lequel des deux fut l'époux de la « gentius dame » ici mise en scène, qu'un acte de 1254 nomme Marie de Simencort^? Probablement le second : c'est ce qu'il faudrait vérifier.

Mêmes difficultés résultant de l'homonymie dans l'identifi- cation des Robert Bernart (v. 17), Robert Castelet*, Robert Cosset (v. 39), Jacques et Jean de Monci (v. 25, 72). Autour de ce dernier nom, V Index a groupé une foule d'indications plus ou moins hétérogènes: les Monchy d'Artois s'y confondent avec ceux du Vermandois, les seigneurs avec les vilains, notre bourgeois de la Taillerie avec un bailli du comte, et ce nom de Monchy, commun à des localités et à des familles déjà si diverses, avec celui de Monchaux, lui-même indéterminé. Le moyen de s'y reconnaître !

Du côté des Auwelines, l'attention se porte sur la femme d'Audefroi, qui voudrait être abbesse du couvent :

V. 80. Car a sainte Auweline a tout sen cors offert, Et por un grant péril dont ele estescapee

1. Mahius li Taillieres et Marie de Simencort, sa femme, engagent une dime tenue de Saint- Vaast, en présence d'Ermenfroi le Tailleur. Henri Hukedieu et autres. Mai 1254. - Bibl. d'Arras, ms. 316, p. 100 et 293.

2. Robert Castelet, sur lequel V Index ne donne aucun renseignement, figure dans les Hostagia de 1261 pour ses deux maisons rue Saint-Nicolas- sur-les-Fossés extra-muros {l" 35 v"). Un acte du 4 mars 1271, n. st., fait mention de la terre qu'il possédait entre Boiry et Hamblain (Bibl. d'Arras, ms. 316, p. 271).

O A. GUESNON

Audefrois li fist ja une uve capee; De sen grant caelit le vaut escerveler : Je cuit c'aucuns de vos eu a parler.

On voit qu'il s'agit d'une scène d'alcôve méchamment ébruitée. L'absence d'un point final au second vers en fausse tout d'abord l'interprétation. Au vers suivant^ « une uve capée» {uve pour huve, d'après M. Jeanroy'), me semble, pour la lettre comme pour le sens, moins vraisemblable que « une vue capée )) expliqué dans La Curne'. Enfin le Glossaire arme le bras d'Audefroi d'un caelit \ mot qui n'a jamais désigné qu'un « châlit », primitivement un lit de parade, du haut duquel, si Ton en croit la malveillance, l'irascible mari aurait voulu pré- cipiter sa femme, au risque de lui briser le crâne.

Variantes du ms. : v. 15, a Me sire sains Oison » Me sires S. Oisons; v. 39, « Robert Cosses» Robers Cosses; v. 42, « Sawalès » Sawales (cf. XIX, 62) : v. 65, « qeiis » queûs; v. 89, et 90, « waaign, mehaign ms. waaing, mehaing.

Pièce XVI. Pour avoir robes et argent, le ménestrel doit faire preuve de savoir auprès de ceux dont il convoite les dons:

V. 1. Quant menestreus es lius repaire Bien est raisons ke ses sens paire Entour iens * u il bee a prendre... Por avoir reubes et argent.

Mais s'il a recours à l'hospitalité des grands, son cœur sait choisir, son estime ne va qu'au mérite. Exalter qui s'ennoblit, flétrir qui se dégrade, telle est sa mission, et il n'y faillira

1. Glossaire, au mot Caper.

2. Dlct. hist., au mot Capl.

3. Glossaire, au mot Caelit : « sorte d'arme. » Godefroy dit de même, à propos de ce vers : « caelit, espèce d'arme, » sans justifier cette interpré- tation de circonstance.

4. Ms. (( ceus », comme plus bas, vers 64.

LA SATIRE A ARRAS AU XIII^ SIECLE 9

pas. Jamais l'auteur d'une infamie, quoi qu'il puisse offrir, n'obtiendra de lui qu'il ne s'adresse â son entourage et ne la relève :

V. 15. Nus meûestreus ne doit souffrir Por chose c'on M face \ offrir Ke, se haus hora fait vilonie, K'il ne paraut a se maisnie, Mais kese soit de reliver-.

Quel spectacle s'offre aujourd'hui à la censure du poète ! Le désordre social est à son comble ; le clergé donne l'exemple, la chevalerie se déshonore. Plus de hiérarchie, plus de classes; la naissance est une chimère,

V, 51. Nus n'est vilain^ se de cuer non.

Après ce cri de protestation égalitaire, dernière tirade du long prologue, la toile se lève sur un moulin à vent fantas- tique, emblème des caractères faux et versatiles que la fiction met en scène. Cette fois, les acteurs seront pris, non plus dans la bourgeoisie d'Arras, mais dans la noblesse d'Artois et des pays limitrophes :

1. Ms. « c'on 11 sace (sache) offrir ».

2. L'ambiguïté du dernier vers rend la traduction contestable. J'ai com- pris « reliver » dans le .sens de « mettre en relief, signaler ». M. Jeanroy corrige « du reliver » et pense qu'il s'agit « des reliefs de la table, de cadeaux ». Il me paraît bien difficile d'harmoniser cette interprétation avec le contexte. D'autre part, la forme « reliver » pour « relever » est assez insolite; cependant on trouve « liver » et « lever » usités concurremment. Woir Floocant, w . 109, 2364, 2371.

Dans cette même citation se rencontre le mot « paraut » que le Glos- saire rattache à « parler » (V. ce mot). Or, le subj. prés. sing. de « paroler » donne « paroi t - parout ». Ne serait-il pas plus normal de rat- tacher « paraut » à « paraler », le subjonctif de « aler » prenant indiffé- remment les formes « aille, ait, aut », d'où « parait = paraut »? Le sens général de la phrase reste d'ailleurs le même.

3. Le ms. porte correctement « vilains », comme dans le fabliau Des checaliers, des clercs et des vilains, ce vers est reproduit littéralement (Méon, FabL, IIL p. 29). M. Guy a suivi la vraie leçon, Introd., p. 19.

10 A. GUESNON

V. 60. Li haut liome de cest. pais

Se sont tout asaniblé ensamble Et concordé ont, ce me samble, Kil feront un muelin de vent De cens qui ventent plus sovent Et ki mex sevent gent ourler' E ^ décevoir par bel parler.

Le concours est ouvert; a qui va-t-on adjuger le moulin ?

Un premier « venteur » le réclame ; il a nom (f me sire Bertous )). Adoptant l'opinion de Windahl, M. Guy identifie ce personnage avec l'usurier Bertoul des Vers de la Mort\ C'est une erreur; celui-ci était un simple bourgeois^ Bertoul Ver- dièrCj mort à la fin de l'année 1266, tandis que Tautre est un chevalier, dont les vers suivants font connaître la résidence :

v. 74. A çou k'il maint près de Blangi Il afiert bien et par raison Li muelins soit en se niaison.

Le seigneur qui se réclame de ce voisinage amphibologique ne peut être que celui de Bailleul, village encore appelé de son nom Bailleul-sire-Bertoult et contiguà Saint-Laurent-Blangy, aux faubourgs d'Arras. Un détail topographique, noyé dans le texte, confirme d'ailleurs l'attribution :

V. 69. A qui k'en poist le fera mètre.

Lisez « Quikenpoist », devise de forteresse seigneuriale devenue nom de lieu, comme a Quikengrogne », et subsé- quemment celui de moulins féodaux qu'on rencontre partout* .

1. « Ourler », c'est proprement circonvenir; « décevoir », c'est tromper.

2. Ms. «Et».

.3. Index, au mot Bertoul.

4. Sans parler de la Belgique, il existe en France, d'après leDict. dos Po.sfns, une quinzaine de Quincampoix diversement orthographiés. Un nombre à peu près égal de moulins sont déjà relevés sous ce nom dans neuf départements sur les vingt dont on a publié le Dictionnaire topoçiraphique, dans la collection in-4° du Ministère. Le Nord, le Pas-de-Calais et la Somme n'en font pas encore partie.

LA SATIRE A ARRAS AU XIH^ SIÈCLE 11

Bailleul avait son « Quinquempoix »; c'est là, d'après un titre du temps, que se dressait l'arbre juridictionnel de la sei- gneurie, sur la hauteur en venant d'Arras\

Plusieurs Bertoul de Bailleul se sont succédé au xiii' siècle. Le premier est le plus connu ; déjà chevalier avant 1225, il nous a laissé diverses chartes comprises entre cette date et 1240'. C'est vraisemblablement à son fils, encore vivant après 1280, que la satire attribue des droits sur le nouveau moulin.

Bertoul a pour concurrents deux outres gonflées de vent, « me sire Gilles Dolehaing », lisez « d'Olehaing', et le sei- gneur deNédoncel. L'un aussi vide que l'autre

v. 8L N'a fors que vent en son boucel,

c'est-à-dire « dans le ventre », dérivation et métaphore qui s'expliquent aisément, surtout en tenant compte de la conson- nance avec « bouc » du néerlandais « bue, buyc = ventre* » . Il n'y a donc pas lieu de rattacher « boucel » à a bourse » au

1. « Lettres de Jehan ds Baillœul, escuier, sires de Piètre, en date de l'an mil CGC et IIJ, est reprinse la vendition d'un flef tenu dudict de Baillœul... lequet fief se comprend en set mencaudées de terre labourable gisant au camp qu'on dit La fosse Amouri/, joingnant au chemin qui maisne d'Arras à Hennin-Liétart, entre l'arbre de Quiquempoix et Baillœul, tenant à la terre Jacquemart le Ricque. » Arch. du Nord, Ch. des Comptes, papier non inventorié sont analysés sur deux feuilles les titres des fiefs tenus du gaule de Boubers qui dépendent du Pont-Levich à Saint-Laurent.

2. Voir les additions au Caiiul. de Saini-Vaasij vas. de l'Évêché d'Arras, n" 475, 476, 598, 599, 612. Il est encore cité en décembre 1242, Inv. de la Chambre des Comptes de Lille, n°' 746, 747.

3. Olehaing, aujourd'hui Olhain, est une dépendance de Fresnicourt, arr. de Béthune, canton d'Houdain. Nédoncel (Nédonchel), arr. de Saint- Pol, canton d'Heuchin.

4. Les chartes du Trésor d'Artois (Inr. somm., A, 323 et 347) offrent deux mentions de « boucheaux de cuir » en 1314 et 1329, à joindre aux autres exemples du mot déjà relevés dans les dictionnaires. Sur l'étymo- logie, voirLittré, au mot Botte, 3, et La Curne, au mot Bouchaus, note 1. Pour le sens métaphorique^ comp. dans le Jea de la Feailléc, v. 242 :

Chascuus est malades de chiaus, Par trop plain emplir lor bouchiaus Et pour che as le ventre enflé si.

12 A. GUESNON

moyen d'un a bourcel » pris métaphoriquement, comme l'in- dique le Glossaire. Non moins sérieux sont les titres de Mathieu de Trie :

V. 88. De soufler onkes ne detrie,

Mathieu est, selon toute vraisemblance, le comte de Dam- martin mort vers 127b\ Notons cependant qu'en 1278, au tournoi de Ham^ un homonyme, son proche parent^ déjà connu en 1276 ', rompait des lances en compagnie de plusieurs des personnages mentionnés ici même : Gérars de Chanlle (Chaui- nes), Gilles de Neuville avec ses deux frères puînés, et le châ- telain d'Arras^

Ce châtelain, qualifié de « cardonaus «^ facétieusement sans doute pour « chardonnier* n, il s'appelait Bauduin, surnom de lane', aspire à dresser le moulin sur le faîte de la prison d'Arras, dont il est le gardien féodal :

v. 107. Que c'est un Hus u sovenl hille,

onomatopée à double entente, rappelant d'une part le bruit du vent, flamand « huylen' », de l'autre les hurlements et les cris des prisonniers, « uller, huiler ».

Et dans une chanson satirique du xiii' siècle contre les moines noirs, citée par P. Paris, Hist. Htt., XXllI, p. 820 :

Et emplent sovent lor bouciaus De pain, de vin, de cras morsiaus.

1. P. Anselme, Hist. généal., t. VI, p. 653.

2. Léopold Delisle, Restit. cVnn volume des Oliin, n" 260.

3. Fr. Michel, Romnn de Ham, pp. 272, 278, 307-311, 359.

4. Sur ce thème équivoque, « chardonax » et «chardons », Gautier de Coinsi avait déjà brodé toutes sortes de variations, qui ne remplissant pas moins de vingt vers de son poème De sainte Lèocade. Méon, Fabl., I, p. 299.

5. Pièce XVII, v. 75 : Ausi com asnes bauduins (baudet)

Se doit servir li Auduins. De même, pièce XXII, v. 159 :

Ermenfrois sera li mausniers Et sires Bauduins asniers; Çou est droiture de moliu Manoir i doivent bauduin.

6. « Den windt huylt in de schouw, » le vent siffle dans la cheminée.

LA SATIRE A ARRAS AU XIII" SIÈCLE 13

Une autre maison, le « vent » souffle en tempête, est celle de Neuville-Vitasse. Le poète ne tarit pas dans ses quolibets contre cette dynastie seigneuriale, les aînés se succédèrent si longtemps sous le prénom d'Eustache (Witasse), tandis que le cadet portait non moins régulièrement celui de Gilles. Une fois cependant, de 1248 à 1255, on voit la série des Eustache interrompue par un Gilles, seigneur de Neuville. Est-ce lui personnellement que vise l'allusion, est-ce son second fils ?

V. 133. Ghille et Ghillains et Ghiluis

Ce sont cil ki wardent sen huis.

Le jeu de mots n'est pas douteux; c'est tout ce qu'on peut affirmer.

La verve satirique de l'auteur se complaît à ce genre d'équi- voques, dont il abuse. L'énumération suivante des soi-disant vaissaux de Neuville en offre un nouvel exemple :

v. 113. Cil de Blangi, de Mentenai... Losinghehem, cil de Fauvain ^ Ki loiauté moustrent en vain, Cascuns aporte grant faussait...

\J Index a pris a Losinghehem » pour un nom d'homme ; c'est une commune voisine de Lillers. Il interprète « cil » par « celui )) ; le mot est ici pluriel : « ceux » de Blangy, de Lo- zinghem, de Maintenay, sur l'Authie, près de Campagne; la différence d'orthographe a sans doute égaré les recherches. Quant à Fauvain, on pourrait à toute force y voir Fevin, aujourd'hui Febvin, canton de Fauquembergues.

Cette fantaisie topographique a d'ailleurs pour unique objet de servir de prétexte à de nouveaux rébus sur l'hypocrisie, la fourberie, la duplicité du personnage en cause'.

1. Index, Fauvain. C'est le nom de « la fausse asnesse » qui porte dame Guile, dans Renard le nouvel. De même que « guile », « fauvain » devient le synonyme de fourberie, hypocrisie. V. ibid., v. 887,1255 et la fin.

2. Blandiri, blandus ont donné en roman les verbes « blandir, blander, blangier»; les noms « blande, blandie, blanderie, blange, blanche, blan-

14 A. GUESNON

Après l'avoir exécuté, l'allégorie fait défiler devant nous les autres concurrents et les fustige au passage. Dans le nombre, quatre se sont récemment signalés^

V. 161. A lagrant feste a Ilarponliu.

Cette localité, dont l'Index n'a pu trouver trace, est une dépendance de Bourges, canton d'Hénin-Liétard. La seigneurie en appartenait alors à Robert de Wavrin, fils de Hellin et dlsabeau de Béthune, branche cadette des sénéchaux de Flandre'.

Une grande fête plénière y avait été créée, on ne sait à quelle occasion. Nos bourgeois s'y rendirent; ils furent brutalement assaillis, plusieurs même culbutés dans les douves du château par les chevaliers, qui

v. 167. Tenoient grans basions et Ions, Dont il frôlent sour les crêpons Et par mi testes et par bras Les vilains, les bourgois d'Arras.

D'après le Glossaire, les coups auraient porté sur la

chérie » ; les adjectifs « blans, blande, blanche. » La dérivation rencontrant en chemin notre autre mot « blanc », celui-ci de provenance germanique, il y eut confusion, le nom de couleur se trouvant correspondre phonétique- ment à l'idée de flatterie et de fausseté du latin. Mais si cette homophonie prête aux jeux de mots, elle n'établit pas un rapport de filiation entre des idées qui n'ont rien de commun. Il n'y a donc pas métaphore, mais équi- voque. De même que Blangi fait penser à « blangir, blangier » blandlri, Mentenai à « mentir, meiitiri », Losinghehem à « losengier », Fauvain à « faux » et « vain », de même « blanc, blanque » rappellent « blans, blande », hlandiis : ce .sont des calembours. Voir Index, au mot Blangi, Glossaire au motBlamc. Cf. XXII, 45, 108, 153.

1. Hugues Fretel, chevalier (v. 151) confirme, par acte de mars 1279, un échange de terres encloses dans le manoir de Ransart. Arch . de Pas-de- Calais, Ccrcamp, Demay, Sceaux d'Artois, 311.— Pierre de Maneincourt, chevalier (v. 153), Marguerite, sa femme, et Robert, leurs fils, sont cités en 1275 dans un acte des Oliin, t. II, p. 72. Manancourt, Somme, arr. de Péronne, canton de Combles.

2. F. Brassart, Une cieille Généalogie de la maison de Wavrin, pp. 26, 27. Douai, 1877, in-8».

LA SATIRE A ARRAS AU XIII*» SIÈCLE 15

(( nuque » ; de nombreux exemples permettent d'attribuer à « crêpons » un sens diamétralement opposé'.

V. 172. La n oi-eni il pas de bras joie Jakes li Noirs et Jakes Joie.

(( Joie de bras » est resté inexpliqué'; la glose « accolées » dont cette expression est suivie^ v. 97, la fait sullisamment comprendre. On disait de même « fête de bras, soûlas de bras » pour embrassades'.

Nous avons vu plus haut (XIV, 57) que Jacques le Noir était mort à la fin de l'année 1261 ; la composition de la pièce serait donc antérieure à cette date. Jacques Joie cité plus loin (XVII, 100 et XXIV, 115) mourut vers la fin de l'année 1270.

Corrections: v. 10, reporter le point et virgule àla fin du vers suivant; v. 48, « le pieur » li pieur; v. 84, « c'ainques » k'ainques ; v. 148, « u que je voie » u que je soie.

Pièce XVII, p. 71. Que chacun fasse silence! Le ménes- trel apporte une grande nouvelle: sachez qu'on va instituer dans Arras une confrérie d'Auduins, autrement dit des maris domestiqués .

En dehors de l'équivalent assez ambigu du Glossaire, « mari débile », M. Jeanroy ne donne sur ce vocable aucune indication philologique; l'origine en reste inconnue. Scheler l'a relevé sous la forme a aduin » dans le conte de La Veuve, il est synonyme de « doux, pacifique*». C'est vraisem- blablement le sens propre du mot; car, pour emprunter la définition appliquée ici à l'un d'eux, l'Auduin

v. 99. Çou est uns hom qui het bataille.

De cette nature apathique et débonnaire, le mariage a fait un inverti,

v. 50. Li Auduins ki n'est mie hom.

1 . Voir les Dictionn. deGodefroy et deLittréaux mots Crkpon et Croupion.

2. Glossaire, au mot Bras.

3. La Curne de Sainte- Palaye, Dictionn.., au mot Bras.

4. Tronc, belges, I, p. 241, vers 494^ et note, p. 348.

16 A. GUESNON

La femme commande en maître, il est l'esclave. Se plier à ses humeurs, la choyer dans ses migraines, lui servir de page et de dame d'atours; et puis opposer la patience de Job à ses emportements, le silence aux invectives, l'inertie aux horions, telle est en substance la règle des Auduins, dépouillée des déve- loppements humoristiques qui font le sel et l'enjouement de cette fantaisie.

Dans un passage, l'intervention conciliatrice de saint Tortuel nous reporte en arrière à l'amusante fiction de Jean Auris :

V. 60. Et quand il voit la dame he Par le vertu saint Tortuel Ki maint preudome fait muel, Dont set il bien k'il pora vivre Quant il le sent un petit ivre.

« Faire muel, » c'est rendre muet, c'est-à-dire, en parlant de l'ivresse, paralyser la langue. « Faire le muet, faire des contorsions, des gestes ridicules» serait tout autre chose; mais le texte ne nous paraît guère susceptible de cette inter- prétation suggérée par le Glossaire.

V. 65. On doit bien sen preudome amordre Qu'il aïut le buée a tordre, Mais que ce soit sans recincier Que ne li tourt a reprovier.

Que signifie « aider à tordre la buée pourvu que ce soit sans recincier (rincer) » ? Si l'on pense qu'il y a nécessairement une liaison d'idées quelconque entre ces vers et le paragraphe au-dessus, dont ils sont la suite, il faut bien admettre que l'une au moins de ces deux opérations du lessivage, « tordre » et « recincier », doit être prise ici dans un sens détourné la rattachant à la bouteille. Je paraphraserais donc : « On doit bien l'amadouer un peu, ce brave homme, pour qu'il aide à tordre la buée^ ; mais qu'il n'essaye pas de rincer son gosier, ou gare la mercuriale. »

1 . On peut se demander si « tordre la buée » n'est pas un autre jeu de mots, « buée » prêtant à équivoque avec « bevée » buvée, buverie. On

LA SATIRE A ARRAS AU XIII* SIÈCLE 17

Toujours est -il que, sous le joug de son tyran domestique, l'Auduin se voit peu à peu réduit à la seigneurie grotesque du pétrin, y compris ses accessoires,

V. 70 sa panière

Et cuerbille et rastiore et mait.

En vertu de cette suprême prérogative, il peut maintenant prétendre aux honneurs de la mairie.

Le premier titulaire de l'emploi sera naturellement le fon- dateur de l'association, Bernard Harduin, bourgeois d'Arras, inscrit en 1260 parmi les obligataires de la ville de Montreuil- sur-Mer\ A ce renseignement biographique s'ajoute l'indica- tion suivante :

V. 80. C'est cil qui gist tous jors al tan.

Était-ce donc un tanneur que ce prétendu chef de corps, ou bien ne serait-il autre chose qu'un mari « tanné^ »? Pas plus tanneur as.surément que son confrère Huelart Louchart' n'est poissonnier d'eau douce ou meunier, bien que dans son ménage abondent les « tenches », et qu'avec « l'asnage de Blangi » il cumule « la mouture de Puignel ». Les allusions personnelles, voilées sous des jeux mots, font de ces fantaisies satiriques un tissu d'équivoques :

v. 82. A grans caretes et a cars

Viennent tences a sa maison'' ; Il fu nés en celé saison.

comprendrait alors : a S'il arrive que le caprice de sa femme en liesse associe l'Auduin aux joies de la bouteille, qu'il en use avec discrétion (sans recincier), s'il veut éviter une semonce. »

1. J. de Laborde, Layettes du Très, des Ch., t. III, p. 545, col. B.

2. Sur le sens figuré de ce mot au xiu" siècle^ voir dans Littré Tanner, à l'historique.

3. Huelart ou Huelos Louchart paraît être Hue Louchart, échevin en avril 1265, d'après un chirographe de l'hôpital Saint-Jean-rEstrée,mort à la fin de l'année 1272.

4. Équivoque sur « tence», dispute, et a tence )),tinca, tanche, poisson. Le vers suivant tire de ce calembour rhoroscope rétrospectif du person- nage.

Moyen Age, t. XIII. 2

18 A. GUESNON

Il a conquis par irctage Cascui) jour le Blangi l'asnage^ Et s'a de Puignel le meuture U il preut toute se peuture.

Bète de somme et coups de bâton, telle est la devise de l'Auduin.

A cette même enseigne symbolique vont être logés les autres confrères, Hancard de la Warance^ André le Maire^ Mathieu de le Piere*, Jacques Joie", Robert le Clerc" qui sera leur

l.Le G/ossawrconfoud 1' «asnée », asinata, avec 1' « asnage », asnagium. Le premier mot représente, comme mesure, la charge normale de l'âne; le second se rapporte à l'exploitation de son travail par l'ànier et désigne le droit que celui-ci paye en retour au seigneur du moulin ou à ses tenanciers . Mais (c Tasnagede Blangi » n'est ici qu'un prétexte à jeux de mots; on y sous-entend la servilité obséquieuse de l'Auduin, bien mal récompensée par « la mouture de Puignel », un nom qui rappelle pugnus et pugna, comme Blangi bîandiri, avec leurs dérivés. Il n^en est pas moins réel que, des vingt-trois moulins alors possédés par Saint-Vaast, il y en avait quatre à Blangy sur la Scarpe. Les tenanciers de l'abbaye livraient les ânes et percevaient l'a asnage ». Le moulin de Puignel était voisin de la porte de Puignel, sur le Crinchon extra-muros. Il faisait partie du « pouvoir » de La Vigue, fief mouvant de Saint-Vaast et possédé par l'avoué d'Arras, seigneur de Béthune. Au xv" siècle, c'était un moulin à huile (Arch. comm. d'Arras, Rcg. mèni., VII, f 16 r", mai 1428. Ibid., CartuL, C, p. 146, sept. 1472). Sur les moulins de Saint-Vaast et leur régie au xn' siècle, voir Guiman, CartuL (éd. 1875), p. 198, 143, 246, 247, 249, 320, 321, 331, 332, 340,346,et supplément au codex de l'Évêché, n»^ 616, 621.

2. L'absence de prénom ne permet pas d'identifier ce bourgeois de la rue delaWarance (aujourd'hui des Trois-Visages), ainsi nommée d'une teinturerie de « bouillon ».

3. Voir p. 20, note 3.

4. Mathieu de le Piere, un des huit sergents héréditaires de la rivière de Saint-Vaast, figure à ce titre dans une douzaine d'actes, dont dix chiro- graphes originaux, depuis 1254 jusqu'en février 1270. Il mourut cette année avant le mois de septembre, deux ans avant Jean Bretel, son col- lègue. Il laissait une fille, et un fils clerc nommé Jean, qui alla en Pouille. Arch. du P.-de-C. Saint-Vaast. Prévôté des eaux. Bibl. comm., ms. 316, p. 261, 281. Arch. hospit. Saint- Jacques, chirogr. Sa maison, rue As- Têtes (de la Charité), est mentionnée dans les Hostagla de 12G1, 19 r°.

5. Mort à la fin de l'année 1270. Cf. pièce XVI.

6. Robert le Clerc est porté au Nccrologc de la Confrérie des jongleurs en

LA SATIRE A ARRAS AU XIII" SIÈCLE 19

doyen: maris tancés, tannés, piles, déplumés\ battus, résignés quand même, sinon contents.

Ainsi constituée organiquement, il ne manquait plus à la confrérie que la sanction apostolique. Un délégué est déjà parti pour Rome, d'où il rapporte, en guise d'indulgence, un talisman infaillible contrôles violences conjugales.

Il suffira dorénavant que, chaque soir, le mari frictionne dévotement le gros orteil de sa compagne, pour que celle-ci soit tenue en conscience de lui épargner les sévices du lende- demain, et ce, sous peine d'être privée de la sépulture ecclésias- tique. Ainsi décrété en plein synode :

v. 107. Li clergié bien s'i assené

S'ont concorde en lor plain séné.. .

Pour rendre le vers intelligible, M. Jeanroy propose la variante « bien s'est assené », sans s final, non plus qu'à « clergié » (?). La phrase se comprendra mieux d'elle-même en lisant et ponctuant :

Li clergié bien s'i assène ; S'ont concordé en lor plain sène

A propos de ce dernier mot, que le Glossaire 'explique à tort par « sénat », notons que le « senne » ou synode épiscopal d'Arras et la foire du « senne » en Cité sont rappelés dans une foule de documents. L'un et l'autre se tenaient en octobre, le mardi après la Saint-Denis^

1272, vers la fin de l'année. Est-ce l'auteur des Vers de la Mort? L'hypo- thèse n'est pas invraisemblable, mais elle ne repose que sur rhomonymie; or, « le Clerc » était à cette date un nom bien impersonnel.

1. Vers 101. Cinc keues a en sen huvet.

Cinq mèches, ce qui lui reste de cheveux après tant d'assauts. Ce vers a pour pendant : Plus est piles c'uns pois baiiens.

Cf. XVIII, v. 174. Sovent li fait teste emmelJee.

2. ((Le mardi après le saint Denise ke li sennes est aArras. » Arch. de l'hôp. S. -Jean, Chirogr. Nov. 1278. (( Es jours de l'Assuraption, Nati- vité N. Dame et le jour du senne. «Arrêt du pari., 23 mars 1344, v. st. « Es jours synodaulx et que le senne siet chascun an en ladite église. »

20 A. GUESNON

Les éléments chronologiques de la pièce en font remonter la composition avant mars 1260. Nous savons en effet qu'un des bourgeois d'Arras cité plus haut, André le Maire, créancier de Calais en 1857 et 1258, n'existait plus deux ans après\

Errata : v. 46, « Ce n'est pas tort » —tors; v. 57; « a sen mengier » mengnier; v. 79, « Por cou est il maires » ert il ; v. 103, ms. a en est diiens » corr. en ertdiiens; 104, c'un pois c'uns pois.

Pièce XVIII, p. 174. L'Empire et. la Papauté sont en guerre. Le parti de la discorde soutient l'envahisseur ; ceux qui veulent la paix déplorent amèrement qu'un tel scandale soit donné par les seigneurs du monde, eux qui devraient, maîtres impeccables,

v. 17. [Nous] ensegnera faire bien,

Et ce sont cil ki n'en font rien.

Et le ménestrel de conclure que, puisqu'il s'attaque à Rome, l'empereur n'a ni foi ni loi, et ne songe qu'à abattre la chré- tienté.

La gravité de ces réflexions sur les affaires du temps ne laisse guère soupçonner que, dans la pensée de l'auteur^ elles doivent servir d'introduction à une satire folâtre contre des célibataires endurcis.

La transition est aussi plaisante qu'inattendue.

Pour maintenir ses droits et résister aux ennemis qui l'assiègent, le pape aura sans cesse besoin de nouvelles recrues; donc il convient d'encourager le mariage et de combattre le célibat,

Arrêt du pari., 3 avril 1399.— « Au jour que l'évesque dudit lieu a accous- tumé de tenir son senne, qui est une fois l'an, le jour de mardi prochain après la feste S. Denis ou mois d'octobre. » Lettres de Louis XI, Tournai, févr. 1463, v. st. Arch. comm. d'Arras. Orig./«c. chron.des Chartes, Doc. CXLV.

1. Arch. du Pas-de-Calais, Très, des Ch. d'Artois, A, 13, 2 sept. 1257 et 1 mars 1258. A, 14, 1 mars 1260.

LA SATIRK A ARRAS AU XIII« SIKCLE 21

V. 37. Por le pule croistre et haucier QiCW aidera a essaucier Sainte Glise...

En conséquence, les cardinaux ont décidé que les unions, jusqu'ici canoniquemcnt prohibées au quatrième degré, seront désormais permises « en tierc point », c'est-à-dire au troi- sième'.

Sawalon Doucet, Tliibaut Amion, Sawalon le Borgne en sont ravis', ils vont voir enfin se réaliser leurs rêves. Heureux

1. Lis. avec le ms. « Qui aidera ».

2. Ces degrés se nommaient : 1" cousin « frairin » ou germain, 2" cousin «en autre » ou second, In altoro f/rada, cousin « en tierc», 4" cousin «en quart». V. Du Cange, Cosinus; i-loisin, Coutumes de Li/h',\)A01 ; Giry, Hist. de Sain(-Oinci\ p. 473, preuves, XCII : «Déclaration pour le Zoeve (Zoene) de mort de homme ». Cf. ci-devant pièce V, 70 : « Vous estes mes cousins en autre », inexpliqué au Glossaire^ Autre.

3. Sawales (et non « Sawalés ») Douces mourut avant février 126G, Très . des Ch. d'Artois, A, 15).

Dans les noms « Sawales Sawalon, Waghes Waghon, Hâtes Haton, etc. », latin Sawalo, Wafjo, Hato, comme dans « Hughes, Hues » de Hu;/o, la syllabe finale du cas sujet est atone. Cf. « Sawales » à la rime, XIX, 62, et K Soales » li Borgnes ci-après, même note.

Les Thibaut Amion se succèdent pendant trois générations, sans qu'on puisse voir dans ce prénom la preuve d'une descendance directe, car l'un d'eux est cité en 1271 comme fils de feu Rikier (Mcni.pour Briois, preuves, I, p. 15). Le premier Thibaut mourut à la fin de l'année 1250. Le second était en 1261 propriétaire voisin de Rikier, du Jeu delà Feuillée, dans la rue Saint-Jean-Ronville (Hostafjia)- Le troisième était homme du comte d'Artois en septembre 1280 (Arch. du Nord, Abb. des Pi-ès, orig.) et en 1286 (Très. d'Artois, A, 32). Il mourut en 1313.

Un premier Sawalon le Borgne mourut en 1248, un autre en 1254 (Nècro- lorje). Peu de temps auparavant, figure en qualité d'échevin, dans un actedu l"juin 1252, « Soales li Borgnes li Jouenes », vraisemblablement fils du précé- dent et le personnage de cette satire (Arch. hospit. S(cint-J(ief/iies,c\m\ orig.). Marié avant oct. 1258 à la fille de Jean Cosset, il entretenait à cette date des relations financières avec Marguerite, comtesse de Flandre, en com- pagnie de Bartliélemi le Borgne (son frère f), « fils de feu Sawalon » et de Barthélemi Verdière dont il sera question plus loin (Godefroy, lurent . Ch. des Comptes de Lille). Il mourut avant 1276, laissant entre autres enfants un fils Sawalon, qui siégait comme homme du comte aux plaids de 1286.

Nous ne savons quelle place faire dans ces aperçus généalogiques à Sagalo Strabo, dont la veuve, Marie Gervaise, fonda, en 1270, unechapellenie

22 A. GUESNON

Gilles le Noir et Baude clcPas\si cette loi eût été promulguée plus tôt! Ils ont plaidé en vain: leurs mariages sont nuls et leurs bourses vides.

Ce n'est pas tout ; le sacré collège vient de faire signifier aux célibataires de quarante ans et plus quils aient à se marier dans l'an; sinon ils devront, le délai expiré, rejoindre l'armée du pape.

Et le poète dresse aussitôt les rôles de ce contingent fantai- siste, en décochant à chaque nom toutes sortes d'épigramraes, dont les sous-entendus menacent de rester lettres closes pour les commentateurs.

Voici d'abord Jacques et Heu vin de la Capele', deux céliba- taires irréductibles, bien résolus à « aller en l'ost », ilspor- teront « blance baniere » et crieront « Wailli » comme signe de ralliement.

« Blance » bannière s'explique, c'est une équivoque cou- rante'; mais « Wailli », qu'est-ce à dire* ?

au Couvent-le-Roy, béguinage extra-muros aux environs de la porte Sai nt- Nicolas-sur-les-Fossés(B. N., lat. 17737, C'«;-/?f/. f/cs chapellenics, f 94 r").

1. Le Nccroloijc des Jongleurs enregistre en 1238 un Baude de Pas, dont il ne peut être ici question. Celui dont les Hostagin de l'église Notre-Dame font en 1261 le copropriétaire d'une brasserie en Haiserue, pourrait bien être le nôtre. M. Guy l'identifie avec un Baude de Pas (échevin de la rue des Maus en 1290 Arch. du P.-de-C., Saint-Vaast), dont la veuve se remaria en 1297 et racheta alors du comte d'Artois l'héritage de son mari bâtard. D'où M. Guy conclut que, puisqu'il y eut mariage, l'union, d'abord annulée pour cause de proximité, avait être légitimée depuis. Nous ferons observer que le raisonnement ne vaut que s'il s'agit de la même femme, ce qu'il faudrait prouver. Si on le suppose, il en résultera que la convolante devait être septuagénaire, puisque notre satire est antérieure à 1250. Ne serait-il pas plus vraisemblable de faire de ce bâtard le représentant d'une troisième génération, et, si l'on veut, le fruit illégitime du mariage annulé?

2. Noter pour mémoire un Helvinus de Capella à l'obituaire de N.-D. 3 févr. Bibl. d'Arras, ms. 740 et Nécr. des Jongl., 1242.

3. « Dame ceus qui sont faus dedans Et blans dehors ne créez mie; Leur parole n'est fors que vens. »

Chans, de Math.de Gand. Scbeler. Troue, belges, I, p. 131. Voir pièce XVI, p. 13, note 2.

4. L'Index rattache le mot "Wailli au cri de guerre des Angevins «Valie»,

LA SATIRE A ARRAS AU XIIl'' SIÈCLE 23

Hellin Audofroi prend la même décision, ainsi que le frère de Warnier, Jean le Cras, qui s'associe pour cette campagne avec Henri au Pié : l'un sera le payeur, l'autre le fourrier' .

Bertoul Verdière devait suivre leur exemple'; il a tourné casaque et déclare maintenant à qui veut l'entendre,

V. 147. K'awan marier ^se vaura

Le nom de Witart se laura.

« Awan )) voulant dire cette année, la phrase finit avec le vers et demande un point et virgule. Quant à a witart » (sans

d'après une citation de seconde main sans référence. Elle est titée du Roman de Rou (éd. Pluquet, I, p. 238). Les deux mots n'ont d'ailleurs aucun rapport. Sur l'origine du dernier, voir Gni/don (éd. Guessard et Luce), V. 2197, 3943, 4983, 8231, et l'article de P. Paris dans VHist. liiL, XXH, p. 238. Notre satire XXH, v. 34, rapproche Wailli de Mentenai, dont il semble avoir le sens équivoque.

D'autre part, les Vers de la Mort font allusion aux « gens qui Wailli ont acensie », périphrase désignant des fourbes tiefîés.

1. Le Nêcroloffe enregistre Hellin Audefroi en 1257, Warnier le Cras en 1258, un premier Jean le Cras en 1262, un second en 1272. Jean le Cras possédait en 1260 une rente viagère de 50 liv. sur la ville de Montreuil (J. de Laborde, Lajjottns du. Très, des Ch., t. III, p. 54.5). Par lettres de révêque d'Arras, du 3 nov. 1221, Warnerus clericus, ([id cocjnoinlnatuv Crassus, eifililsui Gerardus, Johannes et Colardus, cives Atrehatenses, rendent une terre qu'ils tenaient à Courcelles (B. N., Moreau, Chartes, vol. 189). Ce même Warnier, clerc, intervient en janvier 1253 dans le pla- cement d'une somme donnée par lui à la cure de la paroisse de Sainte-Marie en Cité ^B. N., lat. 17737, f" 66 r"). En novembre 1259, il donna au cha- pitre des terres à Agny {Licve des chapelains, ms. de l'Evêché). Son obit est inscrit au 19 mai, date conforme à l'indication du Nécroloqe (Bibl, d'Arras, ms. 290).

2. Bertoul Verdière, déjà cité dans une précédente note, à propos d'un acte de 1253, et plus haut, pièce XVI, possédait en 1261, divers immeubles au Val-Saint-Étienne et en Héronval. Le Nècrologe l'inscrit en 1266. Le pre- mier Carttil. de Fland/-e (Avch. du Nord) mentionne une quittance donnée par la comtesse de Flandre à ses exécuteurs testamentaires, le jeudi après Pâques 1266(?) Il est de nouveau question de ces exécuteurs en 1274 et 1279 (Godefroy, Inc. d'Artois, p. 435 et 493). Les douzains CIV et CV des Vers de la Mort roulent sur Bertoul, ses usures, sa maladie et son testament. Ces indications précisent la date du poème.

24 A. GUESNON

majuscule), c'est un mot de signification et d'origine obscures; il parait être ici l'équivalent de a garçon « (célibataire'). Jacques Fastoul imitera son exemple' :

V. 154. Mais lues ke mariés sera

Paier li convenra l'andouUe: Jou ne le senc pas a si doulle K'au paier ne truist compaignon.

« Payer l'andouille » se rapporte sans doute à quelqu'une de ces amendes burlesques imposées par le « seigneur des Chétifs » ou toute autre juridiction joyeuse de même nature aux jeunes gens nouveaux mariés, coupables de manquements pré- tendus aux règles du code matrimonial. On a compris autre- ment; mais le sens graveleux auquel pourrait prêter l'expres- sion semble ici peu vraisemblable'.

Raoul Augrenon, le frère de Bauduin*, ne partira pas davan- tage, l'instinct belliqueux lui manque,

v. IfiO. Et, s'il prent feme, bien afiert Que il de li soit auduins.

1. On trouve ce mot sous forme de sobriquet : « Witars de Tournehem, fauconnier du roi, » juillet 1282 (i/ic. soin, du Très, des Ch. d'Artois, A, 28) : «.. . pour assaillir Jehan k'on dist Witart en se maison à Gouves » (Arch. du Nord, Compte du bailliage d'Arras, Touss. 1308).

2. Le Nêcrologe enregistre Jacques Fastoul en 1259.

3. La Curne, Dict., au mot A.ndouille.

4. Raoul Augrenon mourut en 1273. Son frère serait le « seigneur Bauduin Augrenon », chanoine d'Arras, qui, par actes d'octobre 1256 et septembre 1258, devint propriétaire d'une maison en Galeurue, aujourd'hui rue d'Amiens (Arch. du P.-de-C, Chapitre N^.-D., orig.). Cette maison est reprise à son nom « dominus Balduinus dictus Au Grenon » dans les Hostagia de 1261, f" 7. 11 la revendit en 1268 par acte du 23 avril (B. N., Moreau, Chartes, vol. 192, f" 123). 11 est inscrit à l'obituaire de N.-D. d'Arras au 22 nov. (Bibl. d'Arras, ms. 740 et 424) et aussi à l'obituaire de N.-D. de Lens, dont il fut chanoine (Ms. collect. Dancoisne). Jean Ver- diëre, clerc, acheta en nov. 1282 un manoir à Méaulens, « lequel fu jadis à maistre Baude Augrenon » (Arch. du ^.-à^-C, Saint- Vaast, chirogr. orig.). Maître Baude Augrenon est l'auteur d'une chanson d'amour publiée par Keller, Roincart, p. 276. C'est un nom de plus au catalogue des poètes chansonniers de l'Église d'Arras.

LA SATIRE A ARRAS AU XIIl' SIÈCLE 25

Bruriel Doucet, lui aussi, n'avait cure de bataille, et le mal- heureux a pris femme ! une femme qui ne songe,

V. 174. Fors de faire Brunel mellee : Sovent li fait teste enmell(e)e.

Son prénom était Robert' ; « Brunel » n'est qu'un nom de guerre, dont la rencontre équivoque avec « mellee* » prélude aux calembours des vers suivants :

V. 179. Car en testes, en diemences A il deus mes, limes et tences.

On devine aisément (jue les deux plats de cet ordinaire conjugal ne sont ni des tanches ni des limandes ; mais des disputes et des agacements sans fin.

v. 181. Espargnier voel un mien ami Ki ier soir se turka a mi ' ; Il a a non Waas li Maire*.

1. « Sacent tout, etc., ke Jehans Mikaingne d'Arras, bourgois de Douay, a qui et quite clamet Jakemon Doucet ki fils fu Robert Brunel, boigois d'Arras, etc. » 2 juillet 1271 (Arch. de Douai, FF, 657, chirogr. orig.). Cf. « Michel Doucet d'Arras appelé Brunel », juin 1290 (J. de Saint- Génois, Inv. Rupelmondc, 532). Le Nècrologe inscrit Robert Brunel en 1267.

2. « Vous qui estiez ung peu brusnel et meslé de cheveulx. » Prophéties de Merlin. Godefroy, au mot Brunel.

3. Le Glossaire relève Turkier sans l'interpréter. Godefroy renvoie à TuRCHiER qu'il ne donne pas. La Curne traduit : « Passer aux Turcs, abjurer. » Or, dans tous les exemples connus, ce mot signifie « retourner, se retourner ». Celui que cite Méon, Fabl., II, p. 404, porte sa glose:

Li moine noir sont si turque Et ce devant derrier torné. Dans ce mot, La Curne ne voit que la métaphore, mais il y a le sens propre à expliquer. Ne viendrait-il pas du Turc monté sur pivot qui recevait les assauts des jouteurs aux jeux de la Quintaine? La volte-face de ce mannequin expliquerait étymologiquement « turkier » dans ses di- verses acceptions.

4. Vaast li Maires est porté au A't'cro/or/e en 1271. En 1267, on le voit associé à Robert Crespin comme créancier de la comtesse de Flandre. Son sceau (pierre gravée) pend à l'acte (Godefroy, Inc. chron., 1486 Demay, Sceaux de Flandre, L 4496).

26 A. GUESNON

Ce célibataire a jeté son dévolu sur une femme experte, telle qu'il faut à un vieux garçon.

Mais comme Vaas se frotte' un peu partout, la dame craint la concurrence, et elle ne se décide pas. Singulière façon d'épargner un ami !

Mathieu le Roi' serait marié depuis un mois, si une mauvaise langue ne se fût avisée de dire

V. 199. K'il ne goustoit de venison Et ke si oel ont menison Si keil ceurent treslout hors.

On comprend la lettre, mais quel est le fin mot de ces malices? Il nous échappe complètement.

Enfin, Wike Reveaus' affirme, il n'a d'ailleurs jamais dit vrai, qu'il ne se mariera pas de sitôt, à moins de prendre Robert de Gore*,

V. 213. Car Robert ne veut il cangier

Car ses roussoles veut mangier^

UIndex et le Glossaire s'accordent à voir dans ces vers une allusion à des mœurs inavouables''. La métaphore serait

1. C'est ce que « tert » veut dire dans le vers 192 : « Por çou k'il tert partout se queue. » Le Glossaire fait suivre Terdre d'un point d'interro- gation : le sens de « frotter, essuyer, tergere » ne peut être douteux.

2. Le Nécrolof/c inscrit Mathieu le Roi à la fin de l'année 1259.

3. Wike Reviaus est inscrit au Nécrologe en 1262, vers la Pentecôte.

4. Robert de Gore, d'après le Nccrologc, mourut en 1249, vers décembre. Cette date serait décisive, si l'identification était complètement à l'abri des surprises de l'homonymie.

5. La leçon « ronssoles » est certaine ici, et très probable ci-dessus, I, 41. Le Nècrologe inscrit deux décès sous cette rubrique : 1195 Roissole; 1213 Fasiens roisole. Le mot est écrit « roinssoles » dans Méon , Fabl., I, p. 279, IV, p. 91, et dans Jubinal, Mgst. du XV .s., II, p. 404. Jubinal a lu « Quirre le moule aux roinssoles » au lieu de « querre » (chercher la quadrature du cercle) et, chose plus grave, il a expliqué « cuire » de façon à tromper la sagacité de P. Paris, qui reproduit de confiance la leçon et la glose, Hisi. lia. , XXIII, p. 216 (Cf. B. N., ms. fr. 7218, 341 v").

6. Le Glossaire au mot RoussoUes: « XVlll, 214 : sens obscène. » VIndex au mot Gore : « Individu de mœurs suspectes. »

LA SATIRE A ARHAS AU XIII^ SIÈCLE 27

bien étrange! Tout au plus pourrait-elle s'entendre de la par- ticipation d'un intime du mari aux faveurs de la dame. Mais il se peut aussi que le trait satirique vise uniquement la camara- derie intéressée d'un parasite, ami de la bonne chère. L'une ou l'autre de ces alternatives doit sullire à l'expliquer.

La liste s'arrête là, sur cette réflexion qu'elle serait intermi- nable s'il fallait y comprendre tous les célibataires d'Arras à marier dans l'an.

A la plupart des noms cités se rattachent des données chro- nologiques, dates mortuaires et autres, dont l'ensemble per- mettrait déjà, malgré certaines incertitudes inhérentes à l'homonymie, d'attribuer à la composition de cette pièce une date extrême sensiblement antérieure à celles des pièces pré- cédentes. Mais le texte lui-même nous fournit un synchronisme non moins précis, en rappelant dès le début les guerres de Frédéric II contre Grégoire IX et Innocent IV.

Après avoir exposé et discuté les conditions historiques du problème, M. Guy conclut « que cette satire a été écrite entre 1246 et 1249 », solution qui offre en effet beaucoup de vraisem- blance ; et il ajoute « plutôt vers la seconde de ces dates, pui.sque le poète parle des insuccès de l'empereur (v. 28)' ».

Le vers sur lequel M. Guy fonde cette dernière opinion,

Gaaigner cuide et il tout pert,

ne me semble avoir aucun rapport avec les revers éprouvés par Frédéric. C'est une simple réflexion empruntée à l'Évangile de saint Matthieu, et conséquemment d'ordre spiritueP.

Peut-être trouverait-on une raison meilleure pour reculer la date de cette pièce, au lieu de l'avancer, dans cette hypo- thèse que

Et cil qui ne voelent fors pais

renfermerait une allusion aux tentatives infructueuses faites

1. Voir l'Index, au mot Apostoile.

2. Qnid cniin prodcsl hoininl si inunduni uniccrsaia lucrctur, aninice rcj'o suce detrinxentum patiatur . Matth., xvi, 26.

28 A. GUESNON

dès 1240, et surtout par saint Louis en 1245, pour réconcilier les belligérants. Cependant le plus sûr est de s'en tenir, pour le moment, à la date de 1249 comme dernière limite probable.

Errata : v. 38, k'il aidera ki aidera; y. 55, k'i s'esjoï ki ; V. 74, pieç'a pièce a; v. 124, siwent sic eut ; v. 126^ Hellius Hellins; v. 143, Mais un a Mais il a; v. 155, convenra couveiira; v. 143, Waas Vaas; v. 189, Et ligement fu fast; v. 214, roussoles ronssoles.

Pièce XIX, p. 79. Le monologue satirique prend cette fois pour thème l'indélicatesse professionnelle de certains tra- fiquants d'Arras en laines d'Angleterre'. Le jongleur se pré- sente d'abord au public :

V. 1. Biau signeur, je ne sui ne sorciers ne devins, Semoneres de cors, ne crieras de vins, Ains sui li mervilleus, cil qui dist les mervelles: Por cou me mande on as f estes et as velles.

« Mervelles » et « velles » ont le cachet artésien : le cham- penois Rutcbeuf arimé, lui aussi, les ((merveilles» de ses contes avec leur succès aux « veilles » ; mais il écrit et prononce au- trement. Quant au (( semoneres de cors », dont M. Jeanroy propose de faire (( un montreur de reliques », c'était le crieur des trépassés, celui qui convoquait aux funérailles ^

1 . Nous avons imprimé le texte de cette satire avec quelques commentaires dans une notice sur le Licre rouge de la Viniaine d'Arras, lue au congrès des Sociétés savantes et insérée au Bulletin historique et pi dlo logique, année 1898.

2. Voir Los crieries de Pnrts, dans Méon, Fahl., II, p. 284, v. 145'

(( Item, s'aucuns confrères trespasse de ce siècle, que li semonneur » facent semonce d'iestre au corps, les confrères et tous les défalans ki ne » seront as vegilles et à le messe soient deswagietde V s. tournois, dont ly » semonneur aront l'un denier, et les autres IIII deniers revenront au pourfit » doudit hospital. » Statuts de la confr. des pèlerins de S. Jacques de Tournai antérieurs à 1358. Bull, de la Soc. hist. de Tournai, t. IX, p. 306. Cf. (( Crier rez des corps qui crie les bans. » Deuxième coutume d'Amiens, § 26, dans Aug. Thierry, Tiers État, i. I, p. 161.

LA SATIRE A ARRAS AU XIII» SIÈCLE 29

Son annonce terminée, l'auteur se fait acteur dans le rôle d'un Anglais récemment débarqué, que la peur de la guerre et le souci de créances en péril amènent sur le continent. Quinze sacs de laine ont été vendus par sa tante à divers bourgeois d'Arras; ceux-ci renient leur dette. Le neveu va les poursuivre, et nul ne sera si puissant qu'il

V. 15. Ne le face semonre dedans Varceoeskié. On dist Jehans Durans en a une sakié . .

Ce dernier mot choque les vraisemblances; la véritable leçon est « sakie » encore usité en Artois pour « sachée », la con- tenance d'un sac. « Sakié » s'est laissé influencer par la rime, bien à tort, car^ à côté d' « arceveskié », il existe une forme féminine « arceveskié », celle qui convenait ici. L'accent doit donc disparaître de l'une et l'autre terminaison \

Jean Durant marche en tête des débiteurs récalcitrants, dont vingt seulement sont nommés tout au long dans ce réquisi- toire . Dix figurent à V Index s-àns aucune indication personnelle ; les autres y sont très inégalement identifiés. Dans cette pénurie biographique^ les dates mortuaires que le Nécrologe rattache à douze des noms incriminés ne sauraient être un secours né- gligeable'. D'autres renseignements peuvent d'ailleurs venir s'y joindre.

Sur les crieurs et la ci'ierie des vins à Arras vers la fin du xif siècle, on peut consulter Bodel qui les met en scène et reproduit la formule dans Li jus de saint Nicholai (Monmerqué et Michel, Théâtre fr. cm nwj/cii ûrjc, p. 180). Cf. Méon, Fabl., II, p. 282, v. 123. Les crieurs de vin étaient des suppôts de l'échevinage et, comme tels, chargés d'amener les témoins en halle. Arch. du P.-de-C, Très, des ch. d'Artois, A, 127 (1289). Collect. Dancoisne, Comptes des baillis, Chand. 1309.

1. Molt l'onnera tant com veschie. Chascun an par l'arce veschie...

Méon, Fabl. et Contes, I, p. 271, v. 25. Autre ex., ibid., p. 326, v. 1370. Cf. « A icel tans le bon evesque Lambert qui fu li premerains evesques d'Arraz après ce que ceste eveschie fu dessevrée de l'eveschie de Cam- brai... ». Mèin. de l'Acad. d'Arras, 2' série, t. XXX, p. 81. Cf. Du Cange, Epis copia.

2. Us sont relevés en note un peu plus loin, page 33.

30 A. GUESNON

V. 26. Et Bernars Ilarduins, si estTibaus Reviaus.

Le premier, déjà vu dans la satire des Auduins, ne nous est connu jusqu'ici que par un compte de Montreuil-sur-Mer, il se rencontre en 1260 avec d'autres bourgeois d'Arras, souscrip- teurs aux emprunts de cette ville'. Le second faisait partie de l'échevinage en 1255, 1261 et 1262'. Il possédait alors une maison au « pouvoir » du Jardin, vers le puits de Fromont'. Il mourut en 1263.

V. 27. Nis Wautiers Naimeri n'i ruis jou déporter S'il ne fait celé laine en maison raporter ; Ja por sen bastoncel ne lairai ne li rueve.

Son « bastoncel » nous révélerait à lui seul les fonctions offi- cielles de Wautier Naimeri, si le poème burlesque XXIII, 168, ne disait formellement :

Et Wautier Nainmeri, qui fat de bon sargant...

Le « bâton » du châtelain, de l'Église, etc., était une expres- sion courante pour signifier leur juridiction*, et Wautier Nai- meri exerçait une des sergentises de cet office féodal, tout en se livrant au négoce.

v. 30. As cipaves qu'il fait me mostre bien et proeve Qu'il a de celé laine assés plus d'un pezon : .T'en ai le contrepois deriere no lezon.

« Cipaves, » grimaces, doit se lire « cipaues ». On l'a vu ci- dessus, II, 15, rimant avec «flauwes », et les formes graphiques

1. Voir pièce XVII, note 2.

2. Arch. du Nord, Premier Cartiil. d'Artois, pièce 98. Godefroy, Intent., n" 1111. Arch. de l'hôpital Saint-Jean-Lestrée, Saint-Jacques, chirogr., orig., oct. 1261, et févr. 1262.

3. Hostagia, i' 27.

4. Incent. chron. des ch. delà cille d'Arras, doc. CLXXXVI, p. 2.34.

LA SATIRE A ARRAS AU XIII" SIÈCLE 31

« chipoe » et « floe », alors concurremment usitées, attestent la véritable prononciation \

V. 29. Or me covienl la jus en l'abie avaler. A Henri Huquediu meconvenra parler.

Il faut lire « en l'Abie » et comprendre « rue de l'Abbaye*». Cette rue descendait de celle de la Warance à la porte de Méau- lens. C'est là, près du Molinel, que demeurait Henri Huque- dieu, dans un manoir patrimonial déjà signalé en 1170% et non dans une maison de l'Estrée, comme l'a supposé Y Index'' .

Ce personnage nous est surtout connu pour avoir eu maille à partir avec le trop fameux frère Robert, l'inquisiteur de la foi. L'acte relatif à cette affaire nous apprend qu'il fréquentait les foires de Champagne. Peut-être était-il dans la draperie, comme semblent l'indiquer ces vers :

V. 42. Il a le plus naïue de le laine m'antain :

Bien en puet faire cape por çou qu'il est capes, Mais encor n'est-il mie de me rime escapés, Se je n'ai celé cape qu'il m'a pieç'a pramise. Je croi qu'ele est de bure, si est tote remise.

« Por çou qu'il est capes » est une allusion dont le sens reste obscur. Le mot de l'énigme pourrait bien être une de ces équi- voques coutumières à l'auteur, comme celles du dernier vers, « bure », étoffe, qui s'entend aussi « beurre », correspond à « remise » dans sa double acception de « ditîérée » et « fon- due' ».I1 est plaisant, par parenthèse, de voir l'acteur en scène

1. Le Glossaire fait dériver Flauwe de Fabula; c'est un mot germa- nique, « flau » faible, ainsi qu'à la fin du siècle dernier le constatait déjà J. C. Adelung, Wôrterb. des hochdcutsch. Mundart. Cf. J. u.W. Grimm,

Wôrterb., à ce mot.

2. Voir pièce XVII, note sur le mot Warance.

3. Guiman, Cartulaire de l'abb. de Saint- Vaast, p. 201.

4. Aux mots Bouteillier et Huquedieu.

5. « Et la cire remise qui sorondera de la chandoile... » Méni. de l'Acad. d'Arras, t. XXX, loc. cit.

32 A. GUESNON

interrompre son rôle, pour réclamer, comme trouvère, le man- teau qu'on lui avait promis et qui n'est jamais venu.

Ajoutons pour dernier renseignement que Henri Huquedieu mourut en 1272, vers la Pentecôte.

Cette liste des vingt débiteurs nommés se complète de quelques autres trafiquants, dont chacun est désigné soit par sa fonction, soit par un prénom qui aujourd'hui ne nous dit rien :

v. 49. Et un vallet i a, que ne vos os nomer

Par deus v et un i je crois ses noms conmence; Deus elles a et une emme et [une] esse mes.

« La réunion de ces lettres, » dit M. Jeanroy, « forme Willms, abréviation de Willaumes\ C'est bien le sens en effet, mais il n'y a pas d'abréviation; le mot est écrit tout au long et le ms. l'épelle ainsi:

Par deus v et un i je croi ses noms conmence ; Deus eLLes a et v eMme e esse mes.

Nous n'en sommes pas mieux renseignés sur ce Willaume, dont la personnalité flotte dans le vague des hypothèses'. On en peut dire autant de

V. 62. Me sire Bauduïns et me sire Sawales,

deux parents énigmatiques d'un maire d'Arras anonyme'. Ce magistrat lui-même n'est pas complètement à l'abri des insi- nuations malveillantes : on trafiquait si outrageusement dans son entourage!

Mais que penser d'un archidiacre d'Ostrevant qui s'en va compromettre l'Église dans des spéculations louches sur la laine

1. Chans. et Dits artès., p. 81, en note.

2. Peut-être Guillaume Faverel, cité dans la pièce XXII, 165.

.3. « Me sire Bauduins, li frères le maieur d'Arras et me dame Ghille se feme » sont nommés dans un acte d'avril 1244 (1245?). Arch. duP.-de-C., So.int-Vaasf., chirogr. orig. Le maire d'Arras Nicolas, dont nous avons le sceau en 1245, mourut en 1250. Est-ce de lui ou bien de son successeur inconnu qu'il est ici question? Quant à « me sire Sawales », notons à tout hasard « Sagalo de Attrebato, miles », mentionné dans un acte d'oût 1246 (B. N., lat. 177.37, Rer/. des chapellenics, f 63 v").

LA SATIlîE A AKItAS AL* XllI^ SIECLE 33

à ma tante? C'est à juste titre qu'il sera traduit, comme ses coassociés, devant la juridiction compétente au castel de So- tinghehem, vulgo Arras\

Et le poète de s'étendre avec complaisance sur la description de cette cour symbolique de Soteville en pays de cocagne, dont il fait le domaine de la folie, couronnant ainsi par une allégorie insuffisamment transparente une fiction dont on a peine à démêler la véritable portée satirique.

D'après les données chronologiques, cette composition, comme les précédentes, remonterait au delà de 1260. Si l'allu- sion du début a trait à la guerre des barons anglais, et c'est le rapprochement qui vient tout d'abord à l'esprit, la date de 1258 s'impose.

Cependant le doute surgit, quand, parmi les noms cités dans la pièce, on en relève six dans les inscriptions du Nécroioge compris entre 1244 et 1248'. Bien qu'on doive toujours compter avec les hasards de l'homonymie, il est difficile d'admettre cette rencontre pour six noms à la fois, dont pas un ne reparaît

1 . V Index supposeque Soflnr/Jw/iein pourrait bien désigner ici le sous-bailli d'Arras, Guillaume de Hokinghehem : la plaisanterie du texte consisterait à(( changer Ho/,inrjh('hcin en Sotiru/hc/icni et à parler de ce magistrat comme du château-fort et du refuge des sots ». Quand même on admettrait la hardiesse de cette figure^ l'hypothèse ne tiendrait pas, le sous-bailli en question (1285-1290) étant de vingt-cinqans au moins postérieur à la com- position de la pièce; de plus, la cause ne ressortissait pas à son tribunal. La seigneurie de Hocquinghem, canton de Guines, et celle de Zotteghem au comté d'Alost, Flandre-Orientale, n'ont donc aucun rapport. La dernière doit à son nom équivoque surtout, et peut-être aussi à des allusions qui nous échappent, d'avoir été choisie comme siège allégorique d'une juridic- tion spéciale dépendante de Saint-Acaire.

Nous ne voyons non plus aucune relation étymologique entre ce patron des fous et le nom de la famille « Acariot, Achariot », qui s'écrivait aussi « As Charios ». Voir VIndcv, à ce mot.

2. Voici les douze inscriptions mortuaires relevées dans l'ordre chrono- logique : Alars Foubers 1243, 3''; Wautier Naimeri 1244, 2'*; Jehan Tenevel 1248, 2'''; Thomas Rairabert lâ53, 3'; Martin Veel 1255, 3^'; Hellin Au- defroi 12.57, 2'-; Jacques le Noir 1261, 2'; Gossuin de Hees 1261, 2"; Raoul le Boutellier 1262, 2"; Thibaut Revel 1262, 3'"; Jehan David 1267, 3'^; Henri Huquedieu 1271, 3*"; Wautier Mulet 1274, 1".

Moyen Age, t. XIII 3

34 A. GUESNON

ultérieurement ni au Nécrologc ni ailleurs. La date ci-dessus semble donc devoir rétrograder d'un certain nombre d'années, quoique peu vraisemblablement jusqu'à la guerre de 1242.

Ce qui tendrait à appuyer cette conjecture, c'est le nom de Bernard appliqué à l'archidiacre ci-dessus visé :

V. 70. S'il cuke^ de se corne, nus ne l'en doit blasmer, K'ainc mais ne vi Bernart ne mouton si cornu' ; Je croi de grant sience a il tout sen cors nu.

Or, Bernard, archidiacre d'Ostrevant en l'église d'Arras, est cité dans les actes en 1244, 1245,1248. Son successeur, Mathieu de Gand, était en fonctions en 1253'.

Il est vrai de dire que Bernard, surnom de l'âne, l'archi- prêtre du Roman du Renard, pourrait n'être ici^ comme ailleurs « renard » lui-même (XV, 13), comme a tartufe », qu'une simple appellation générique, applicable par conséquent à n'importe quel archidiacre taxé de sottise et d'ignorance, auquel cas « bernard » devrait prendre une minuscule.

Ce point reste donc indécis jusqu'à plus ample information.

Errata :v. 7, Angleterre Engleierre; y. 8,parpaor par paor; v. 27, Nis Wautiers Naimeri Wautier Naimmeri ; V.58, Jes i mesisse tous ms. messisse; v. 73 et v. 78, Signor, Sotinghehem est uns moût bons castiaus Sotinghehens; v. 74, avoec -avoc; v. 76, Li carpentiers est fol est fols; v. 78, marqu[e]ans marqueans.

1. Cukier, c'est ((choquer»; on le trouve répété huit fois au moins dans le Roman de Hain {xui' siècle), publié par F. Michel à la suite de VHist. des ducs de Normandie. Le mot n'est donc pas entré récemment dans la langue, comme le pensent Littré et Bracliet.

2. «Bernart, cornart, mouton cornu », synonymes de sottise :

Qui plus est SOS et bobelins Que li moutons sire Belins.

G. de Coinsy, Don tllaiii charruier, v. 267. 3,Arch. duP.-de-C, Inc. soinm.^sénQ A, p. 18, 19, 20, col. B. Arch. du Nord, Inc. des ch. de la Chambre des Comptes ( impr.), n" 814, 892, 107.5.

(.1 suivre).

DOCUMENTS

POUR SERVIR A L'HISTOIRE DES MŒURS

AU XIIP ET AU XIV« SIÈCLE

L'histoire des habitudes sociales et des mœurs au moyen âge a été plus négligée, jusqu'à présent, que celle des événe- ments et des institutions politiques. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer pourquoi. Il suffit de constater que ce n'est pas parce que les documents font défaut.

Les renseignements pour l'histoire des mœurs abondent dans notre ancienne littérature. J'ai indiqué ailleurs les précautions à prendre pour les utiliser et le parti que les « philologues », sinon les historiens de profession, en ont tiré depuis vingt-cinq ans, notamment en Allemagne'.

Il y a aussi, dans nos archives, quantité de documents qui sont des sources excellentes pour l'histoire des mœurs privées et publiques, en France. Les plus expressifs, sans contredit, sont ces procès-verbaux notariés d'enquêtes judiciaires ou administratives, par demandes et réponses, qui reproduisent, avec une précision, un coloris et une fidélité si rares, des scènes de la vie d'autrefois. En comparaison, presque tous les autres textes du moyen âge laissent l'impression d'une séche- resse ou d'une insincérité dégoûtantes.

Quelques-unes des enquêtes assez nombreuses, sous forme de rouleaux et de registres, qui ont été conservées depuis le

1. Les tracaux sur l'histoire de la société française au moyen âqe d'après les sources littéraires^ dans la Reçue historique, LXIII (1897), p. 241-265.

36 cil. V. LAXGLOIS

XIII* siècle, ont attiré de bonne lieure l'attention des érudits, tant à raison de leur ampleur, il en est qui fourniraient la matière de plusieurs volumes d'une impression compacte, qu'à cause de l'intérêt qu'elles présentent pour l'histoire poli- tique. La plupart des épisodes les mieux connus de l'histoire du XIII'' et du xiv*^ siècle le sont grâce à des enquêtes : le cas de Pierre de Benais, l'affaire des Templiers, celle de Bernard Saisset, les aventures de Guichard de Troyes, de Bernard Délicieux, de Robert d'Artois, etc.'. On sait que le tome XXIV (sous presse) des Historiens de la France contiendra tous les fragments qui subsistent de la grande enquête instituée en 1247, par Louis IX, pour recueillir les plaintes de ses sujets contre les officiers royaux.

Mais, autrefois comme aujourd'hui, les causes célèbres n'étaient pas toujours, au point de vue qui nous occupe, les plus instructives. En tout cas, elles ne sont pas les seules qui soient instructives. Les grands procès politiques ou semi-poli- tiques, exceptionnels, qui surexcitent les passions et boule- versent les consciences, révèlent parfois aux contemporains eux-mêmes, sur la société dont ils font partie, des choses profondes qu'ils ignoraient; mais la gazette quotidienne des tribunaux civils, criminels et administratifs est riche en détails familiers, savoureux, typiques, qui sont très précieux, en leur genre, pour la postérité. Or, le temps a épargné (par hasard) les comptes rendus circonstanciés d'une foule de petites affaires, touchant des personnages obscurs, qui se sont passées au moyen âge. Ces comptes rendus là, les historiens qui ont écrit l'histoire proprement dite (celle des événements politiques), n'ont pas eu, naturellement, à s'en servir ; les historiens du droit s'en sont servis, mais seulement pour en

1. Les enquêtes relatives aux affaires de Guichard de Troyes et de Ëobert d'Artois ont été étudiées à fond, d'après la méthode suivie par les auteurs des opuscules ci-dessous pubhés, par deux de mes anciens élèves, MM. A. Rigault {La Procès de Guichard, cccqae de Troj/cs, Paris, 1896, in-S"), et J. Lefrancq (Positions des Mémoires présentes à la Faculté des Lettres, 1896, p. 55).

nOcl'MENTS POIR SEUMi; A I.'lIIS TOIIîl-: OKS MiEl'RS 37

extraire des données sur les formes et la marche de la procé- dure; plusieurs ont été publiés, mais, pour ainsi dire, acciden- tellement, dans des inventaires d'archives ou dans des recueils de Miscellanea ; beaucoup sont encore inédits '.

Dans ces conditions, j'ai pensé qu'il y avait lieu : de se rendre compte de ce qui reste de la chronique des tribunaux pour répoque qui est l'objet ordinaire de nos études, c'est-à- dire le siècle qui commence vers le temps de l'avènement de Louis IX : 2^ d'analyser les pièces qui paraîtraient en valoir la peine, avec l'intention de relever les traits caractéristiques et les renseignements positifs qui s'y trouvent ordinairement noyés dans un verbiage sans fin. Tel est le sujet de recherches et d'exercices en commun que j'ai proposé aux auditeurs de l'une de mes conférences à la Faculté des Lettres de Paris, pendant l'année 1898-1899.

Un répertoire (provisoire), sur fiches, a été dressé des procès- verbaux d'enquête du xiii" et des premières années du xiV^ siècle, qui existent aux Archives Nationales, à la Biblio- thèque Nationale, dans les archives et les bibliothèques de province '.

Quelques pièces, parmi celles qui semblent inédites, ont été analysées, à titre d'essai, par MM. F.-E. Martin^ Hiickel et Alphandéry. Elles ne renferment rien d'extraordinaire ; mais nous ne nous attendions à rien de tel. Ce sont simplement, comme les enquêtes de 1247, qui vont être publiées dans les Historiens de la France, des miroirs de la vie courante, des

1. Plusieurs pièces intéressantes ont été intégralement publiées par MM. Delisle (Cartulairc normand)^ Boutaric (Actes du Parlrmont de Paris), Guilliiermoz (Enquêtes et Procès), et, à l'état de documents justi- ficatifs, dans des monographies d'histoire locale.

2. Le « Supplément » du Trésor des Chartes de France contient la majeure partie des documents du genre de ceux que nous avons recherchés qui sont à Paris. L'administration des Archives Nationales faisait procéder, l'année dernière, à la réfection de l'inventaire manuscrit, si insuffisant, de dom Joubert. Il est à souhaiter que l'inventaire nouveau soit prochainement publié. Il nous aurait épargné, si nous l'avions eu entre les mains, un travail considérable.

38 F.-E. MARTIN

spécimens de faits divers comme il s'en produisait tous les jours, il y a six cents ans. Telles quelles, elles procurent^ je crois, une impression forte et directe du passé. Nous remercions le Moyen Age d'avoir bien voulu les accueillir.

Ch.-V. Langlois.

I. L'AFFAIRE Dl^ PIEKKE DE DALBS

ABBÉ DE SAINT-PIERRE DE LEZAT (1253-1254) *

Depuis le mois de mai 1241, Pierre de Dalbs était abbé de Saint-Pierre de Lezat'. Le Gallia Christiana^ \\x\ attribue l'entreprise de la rédaction d'un cartulaire de son abbaye ' et l'obtention du droit de porter les insignes pontificaux en 1249 ou 1250. Il est qualifié dans cet ouvrage d'homme « actif, avisé, sage, industrieux* ».

Cependant, en 1253, des plaintes furent faites contre lui à l'abbé de Moissac, « des plaintes telles qu'on ne pouvait, sans scandale, les tolérer plus longtemps ». L'abbé de Moissac, Guillaume' de Bessencs, chapelain du Pape, en réfère au Sou- verain-Pontife; et le 1" juillet 1253 le mandement d'enquête est donné par Innocent IV . « Ta requête, qui nous a été lue,

Archives départementales du Tarn-et-Garonne, série G 722 bis. Rou- leau de 6 mètres, parchemin. Il est indiqué, au bas du rouleau, que c'est une copie des actes originaux, faite en l'an 12.54, au mois de mars, par Arnaud Raimond de Villeneuve, notaire public de Bérat, qui a transcrit la plus grande partie du Cartulaire de l'abbaye de Lezat.

1. Lezat-sur-Lèze, Ariège, arr. Pamiers, C" le Fossat.

2. Gcdlia Christlana, t. XIII, col. 211.

.3. Ce cartulaire est conservé à la Bibl. Nat., lat. 9189.

4. « Strenuus, sagax, prudens et industrius. » Cf. Histoire générale de Languedoc (nouv. éd. in-4''), t. V, p. 538.

5. La pièce G 722 his porte : G. de Bessencs. 11 faut lire : Guillelmus ; Cf. Bibl. Nat., coll. Doat, n" 129, pp. 304, 312, 316 et suiv.

i/akfaiui-: I)K imkruk de nALns 39

contenait que P., qui est abbé du monastère de Lezat, immédiatement soumis au monastère de Moissac, de l'Ordre de Cinny^ du diocèse de Toulouse, en négligeant l'observance de la règle et en se laissant aller à Tincontinence, à la simonie et à d'autres crimes, offense Dieu et scandalise les hommes, pour le péril de son âme et l'opprobre de Tordre du clergé... Nous mandons à ta discrétion de t'acquitter des devoirs de ton office au sujet de la correction et réformation des excès susdits... ))

En conséquence, l'abbé de Moissac cita à comparaître per- sonnellement devant lui, à Belmont', Tabbé de Lezat, puis les moines dudit lieu, enfin les prieurs qui dépendaient du monastère. Au jour dit, un mercredi, le lendemain de la fête des saints Apôtres Jude et Simon (29 octobre), P. de Dalbs comparut par-devant l'abbé de Moissac. Il y avait une si grande multitude de laïques présents que Fabbé de Moissac, craignant d'être gêné dans l'exercice de ses fonctions d'enc{uê- teur, porta une sentence d'excommunication contre quiconque (i mettrait obstacle au travail de l'enquête ». Alors l'abbé de Lezat demanda une copie du rescrit apostolique, adressé à l'abbé de Moissac. Mais la nuit approchait; on remit l'affaire au lendemain, après la messe.

Le jeudi, Pierre de Dalbs redemanda la copie du mande- ment du Pape ; il réclama aussi la copie de l'acte par lequel l'abbé de Moissac l'avait fait citer. Ces deux copies furent faites et remises à Pierre. Dans tous les actes de ce procès, l'abbé de Moissac s'intitule « juge unique ou enquêteur établi parle seigneur Pape" ».

Les formalités préliminaires se poursuivaient : deux procu- reurs avaient été constitués par le couvent de Lezat pour le représenter en ce procès, que l'abbé de Moissac « soulève contre nous et aussi contre le vénérable seigneur P., notre abbé )). Ces procureurs, le frère G. de Noerio, sacriste de Lezat,

1. Belmont, dans l'archidiaconé de Lezat.

2. « A domino Papa judex unicus seu inquisitor constitutus. »

40 F--K- MARTIN

et G. de Dalbs, prieur de Saint-Antoine de Toulouse, com- parurent devant l'abbé de Moissac et lui présentèrent l'acte de procuration. Comparurent également les prieurs qui avaient été cités' : ceux de Montlandier', de Montredon*, de Sainte- Colombe*, de Bérat', de Saint- Antoine de Toulouse, de Pey- rissas*, de Saint-Micher, de Saint-Germier'.

Mais si ces ])ersonnages avaient comparu, ce n'était pas pour laisser Tabbé de Moissac mener l'enquête à son gré. En effet, le sacriste de Lezat et le prieur de Saint-Antoine de Toulouse présentèrent alors, au nom du couvent de Lezat et desdits prieurs^ une cédule d'appel : Si l'abbé de Moissac, disent-ils, a obtenu le mandement apostolique d'enquête contre « notre révérend père P., par la grâce de Dieu, abbé de Lezat, homme sage et honnête, également circonspect dans les choses tempo- relles et les choses spirituelles, faussement, accusé par lui de divers crimes', auprès du Saint-Siège )), c'est qu'il a invoqué indûment la dépendance immédiate du monastère de Lezat à l'égard de celui de Moissac. Ils protestent longuement contre le terme d' « immédiatement soumis », qui entraîne « un énorme

1. « R. de Grandin, prior Montis Landerii ; S., prior Montis Rodonis ; Ar.. prior Sancte Columbe ; G. de Villa Nova, prior Berati ; G. de Dalbs, prior Sancti Antonii Tholosani; B. Jo., prior de Patricianis; Ar. de Lambes, prior Sancti Michaelis de Sancianis; et frater Martinus, pro G. de Roer, priore Sancti Germerii de Murello, Lesatensi monasterio subjecti. .. »

2. Cl. Histoirr f/('>ncralc de Lanfjuedoc, t. VIII, col. 1913. Molandier, Aude, arr. Castelnaudary, c°" Belpech.

3. Il y a plusieurs Montredon dans le Midi; c'est très probablement Mon- tredon dans l'Ariège^ c°" Alzen.

4. Sainte-Colombe, Ariège, c°" Saverdun.

5. Bérat, Haute-Garonne, arr. Muret, c"" Rieumes.

6. Cl.Hist. de. Laiifjucdor, t. V, col. 1782. Peyrissas, Haute-Garonne, arr. Saint-Gaudens, c°" Aurignac.

7. Saint-Michel, ;Ariège, arr. et c°" Pamiers. Cf. Gallia Christiana, 1. c. : S. Michael de Saxianis.

8. V. Hïst. dt'Laitfjtirduc, t. V, col. 118(5.

9. « Viro provido et honesto, et in temporalibus et in spiritualibus cir- conspecto... de diversis eriminibus false delato. »

L AFFAIRR DE PIKRRK DR DAI-BS 41

préjudice » pour leur liberté et celle de leur monastère. Car la soumission a été autrefois demandée par Moissac et « complè- tement refusée » par eux. Il y avait eu jadis des négociations à ce sujet, menées par l'abbé de Moissac, mais non en son propre nom, au nom du monastère de Cluny ; et « un accord avait été presque conclu, arraché par la ruse et par la crainte à ceux qui vivaient dans le monastère de Lezat' o, mais l'accord non ratifié n'a jamais eu aucune valeur. Bien plus : non seulement l'abbé de Moissac a manqué à sa parole en réclamant d'eux indûment l'obéissance manuelle [liohedientiam nia/iualeni), mais l'abbé de Cluny leur a écrit « de n'admettre la Visitation ou la correc- tion de personne, si ce n'est de lui-même, ou de quelqu'un agissant par son ordre ». « Si tous ces faits avaient été portés à la connaissance du Saint-Siège, jamais ledit mandement n'aurait été obtenu. »

Comme, d'autre part, l'abbé de Moissac « s'efforce de diffa- mer et de déshonorer leur abbé, et de nuire à l'honneur et aux intérêts de leur couvent..., ils défendent à leur abbé d'ad- mettre la juridiction de l'abbé de Moissac, et de le reconnaître comme son juge' ». Enfin, ils en appellent a de vive voix et par écrit)) au Siège apostolique.

Ensuite, le prieur de Sainte-Colombe lut une protestation analogue, pour confirmer la précédente, au nom des prieurs cités\ Ils prétendent qu'ils n'étaient pas tenus de comparaître devant l'abbé de Moissac, parce que le rescrit apostolique ne faisait d'eux nulle mention et que l'abbé les a cités à compa- raître personnellement, sans exprimer l'objet de la citation, ce qui est contre le droit*. De plus, ils récusent l'abbé comme

1. « Compositio quedam... dolo indueta, ac per metum ab illis qui tune temporis in nostro monasterio erant extorta. »

2. « ... Inhibantes venerabili abbatl nostro, propterraciones predictas, ut prefatum Moj^siacensem abbatem, occasione dicte coniissionis aut sue juridictionis, admittataut tanquam judicem consentiat. »

3. « Non recedimus, nec intendimus recedere ab appellatione quam nos et conventus Lesati. . . ad sedem apostolicaui intergessimus. »

4. [ « Littera vesti'e commissionisl ...de uobis nullam in specie vel génère

42 F.-E. MAUTIN

« suspect et ennemi »; on Ta vu persécuter Fabbé et le monas- tère de Lezat. attenter à leurs droits et fréquenter les ennemis dudit abbé et dudit couvent. Aussi les appelants demandent- ils l'élection d'arbitres, devant lesquels ils feraient la preuve des motifs de récusation; ils persisteront dans Fappel au Saint-Siège si l'abbé refuse de faire élire ces arbitres.

Celui-ci n'y est nullement disposé : il n'admet pas ces appel- lations et les déclare absolument vaines'. Sa seule concession est de les faire rédiger par notaire dans le procès-verbal, en promettant (nous ne voyons pas que la promesse ait été tenue) de leur concéder une lettre contenant les raisons pour les- quelles « il ne déférait pas et ne devait pas déférer à leurs appellations )).

Alors Fabbé de Moissac se met en devoir de procéder à l'en- quête; mais P. de Dalbs interjette appel, récusant son juge, pour les raisons déjà invoquées par les prieurs dépendant de Lezat, comme suspect et comme ennemi. Et là-dessus il lui fait en quelque sorte son procès, n'énumérant pas moins de 17 motifs de récusation. Le refus de l'obéissance manuelle par les moines de Lezat, dit P. de Dalbs, a fait concevoir à l'abbé de Moissac une très grande haine contre lesdits moines. L'abbé s'est employé à les desservir et à leur nuire cons- tamment : dans l'affaire de l'élection de B. Barrau à l'église de la Daurade * , il a tant fait en cour de Rome qu'ils n'ont pas pu alors obtenir les insignes pontificaux'; auprès de Févêque et du comte de Toulouse, il les a empêchés d'obtenir des pri- vilèges* ou de maintenir les leurs, en les diffamant, et en se servant de renseignements sur les projets secrets du cou-

facit mentionem, maxime cum in vestra citatione non expiesseritis ad quid nos feceritis citari, et personaliter contra jus nos citaii feceiitis, que omnia pro gravamine reputamus...»

1. « Predictas appellationes non admisit sicut frustratorias et inanes. »

2. Notre-Dame de la Daurade, à Toulouse.

3. D'après le Gallia Christiana, cet honneur leur fut accordé en 1249 ou 1250.

4. « Reversi fuiraus vacui, amissis laboribus et expensis. »>

i,"aifaiuk pk pir:nuK df, n.M.ns -13

vent, frauduleusement obtenus. Bien plus, il a décidé plusieurs des moines de Lezat (et parmi eux son neveu), à diffamer leur abbé et à se révolter contre lui. Il s'est emparé de 12 de leurs églises et prieurés, jetant dehors par la force les moines et les prieurs; pendant trois ans il a occupé leurs biens, « enlevant leurs livres à ceux de nos clercs qui étudiaient à Toulouse, emprisonnant nos envoyés avec leur suite ». Il mena- çait l'abbé de Lezat de le faire tuer ; « avait inventé un nou- veau genre de supplice » : c'était de le lier nu à un arbre, et de l'exposer ainsi aux mouches et aux autres bêtes. Par cette persécution, il avait fait perdre au couvent de Lezat cinquante mille sous de Morlaas. Ce n'est pas tout : à son insti- gation, des rebelles avaient brûlé, au prieuré de Bérat, toutes sortes d'instruments nécessaires, « comme des échelles, des enseignes de maisons, des cercles de tonneaux' », il a soulevé la population de l'endroit contre l'abbé de Lezat, disant faus- sement que les rebelles en question n'étaient pas excommu- niés par l'autorité ecclésiastique. Il n'a pas cessé d'être en relations avec ces rebelles excommuniés, promettant cent marcs d'argent et quelquefois davantage à celui qui lui livrerait l'abbé de Lezat prisonnier. Enfin, il n'a pas voulu que les moines de Lezat assistassent à la consécration de son église.

« Vous avez agi à la légère", conclut Tabbé de Lezat, en nous diffamant auprès du Saint-Siège, nous qui sommes de bonne renommée; vous vous êtes institué contre nous à la fois juge et partie ; aux termes du rescrit apostolique, ce n'était pas une enquête, mais seulement une correction et une reforma- tions que vous aviez à faire; vous nous avez cités, nous et les nôtres, dans un endroit éloigné, et dans un court délai, afin de nous déclarer contumaces ». « Malgré tout le respect que nous avons pour le monastère de Moissac, dit encore P. de Dalbs,

1. « Sicuti scalas, distinctiones domorum, circulos vegetum. »

2. Et ailleurs : « Suspectam habemus impetuositatem vestram et levi- tatem. »

3. « Non inquisitio sed correctio et reformatio. »

44 F.-E. MARTIN

nous excipons contre votre personne, parce que votre légèreté nous y force. D'abord, parce que vous êtes coupable d'horni- cide multiple, et spécialement de la mort de P. B., ce clerc que vous avez fait périr en prison, de faim, de soif et de froid; nous excipons contre vous du fait d'incontinence fré- quente, d'adultère et de fornication, de parjure, de simonie, de dilapidation des biens du monastère de Moissac; enfin de ce que vous avez été plusieurs fois frappé d'excommunication : une fois pour entente avec les rebelles dont il a déjà été parlé, par l'abbé de Saint-Aphrodisc, en ce temps juge délégué par le Siège apostolique, ensuite pour des voies de fait contre nos moines, et encore pour l'affaire des rebelles par l'évêque de Carcassonne, et encore par l'abbé de Cluny. Pour tous ces motifs nous vous récusons, et sommes prêts à faire la preuve de tous ou de ceux qui suffiront à la récusation légitime devant des arbitres dont nous demandons l'élection. A cause des griefs que nous avons contre vous, nous appelons au Pape pour nous et notre couvent, pour les prieurs et les églises qui dépendent de nous et de notre monastère de Lezat et tous nos aidants \ de vive voix et par écrit. »

L'abbé de Moissac admit alors qu'il y avait lieu de discuter si les motifs de récusation étaient suffisants, et s'il fallait accorder des arbitres aux appelants. Il assigna à l'abbé de Lezat pour ces débats a un jour péremptoire » à Muret', le lende- main de la fête de saint Clément (24 novembre). Bien qu'il déclarât que P. de Dalbs n'en conserverait pas moins le droit de ne pas le reconnaître comme juge, celui-ci n'accepta pas l'assignation.

A partir de ce moment commence l'opposition passive, mais absolue, de l'abbé de Lezat. Le lendemain de la Saint-Clément, en efîet, il ne comparaît pas devant l'abbé de Moissac siégeant dans l'église de Saint-Jacques, à Muret. Le juge lui envoie le

1. « Pro nobis et conventu nostro, ae prioribus etecclesiis nobis et ruonas- terio Lesati subjectis, et omnibus valitoribus nostris. »

2. Muret, Haute-Garonne.

l'aFFAIIŒ DK PIKRKE Dli DALBS 4o

curé de cette église avec des témoins, pour le citer, dans Téglise de Saint-Germier'j près de Muret, il se trouvait; mais il ne se laissa pas llécliir et n'envoya pas de procureur. Enfin, à l'heure l'on ne pouvait plus lire des lettres au jour*, un clerc, B. Jean, comparut pour lire a à la chandelle » une ccdule d'appellation, comme procureur de Tabbé de Lezat ; il dit qu'il ne venait pas au jour assigné devant l'abbé de Moissac comme devant un juge, mais seulement pour signifier appel, et il partit sans vouloir montrer au juge l'acte de procuration, ni lui laisser une copie de la cédule de protestation qu'il avait lue ; aussi n'est-elle pas transcrite dans le procès- verbal, qui la résume seulement. Comme P. de Dalbs n'avait ni comparu ni envoyé « un procureur idoine », l'abbé de Moissac le déclara coutumace.

Le lendemain, il siégait dans l'église de Saint-JacqueSj entouré de prud'hommes de son monastère, parmi lesquels, Arnaud, grand-prieur, et G., prieur de Saint-Pierre-des-Cui- sines de Toulouse^; alors l'abbé de Lezat parut, disant « qu'il ne venait pas devant lui comme devant un inquisiteur ou un juge, et qu'il n'y viendrait jamais ». C'était ce qu'avait dit son pro- cureur, la veille. L'abbé de Moissac, « pour triompher de son mauvais vouloir'* », assigna le lendemain de la fête de saint André, apôtre (l'"' décembre), dans l'église de Saint-Antoine de Toulouse, qui dépendait du monastère de Lezat, afin de dis- cuter sur la récusation et Télection d'arbitres. C'était beaucoup oser que de vouloir siéger dans une maison du monastère de Lezat : en effet, enferma la porte du prieuré de Saint-Antoine lorsque l'abbé de Moissac y voulut entrer. Il siégea donc dans le cimetière de cette église, et remit les débats au lendemain dans

1. (( Qui erat in ecclesia Saucti Germerii, juxta muros de Muiello. »

2. « Hoia qua non poterant littei'e legi de die. »

3. « Cum niultis bonis personis sui monasterii, scilicet cum magistro Ar. prière majori et magistro G. priore Sancti Pétri deCoquinis Tholosani, et pluribus aliis. »

4. « Ad ejus maliciam convincendam. »

46 K.-li. MAKTIN

l'église de Saint-Sernin-du-Taur% également à Toulouse. A l'heure des vêpres seulement, l'abbé de Lezat comparut, mais ce fut pour répéter ce qu'il avait dit à Muret. L'abbé de Moissac le prit au mot, cette fois, car il n'accepta pas les appellations qu'il lut ; d'ailleurs, « un contumax Vi\)\iQ\^r\i n'est pas entendu », dit le procès- verbal. Cependant, par condescendance, l'abbé de Moissac fît copier dans les actes du procès une des appellations, par laquelle P. de Dalbs se plaignait des frais qu'avaient en- traînés les voyages entrepris par lui pour répondre aux citations.

L'appellation du couvent de Lezat ne fut pas reçue. Les moines ne voulaient pas entrer en discussion « et persistaient dans l'état de contumace ». L'abbé de Moissac passa outre et assigna un jour (le vendredi avant la fête de saint Thomas, 19 décembre) à Montgazin'', dans l'archidiaconé de Lezat, pour les dépositions des témoins sur les articles qui avaient motivé l'intervention du Saint-Siège. Il cita Hugues, prieur de Lezat, G. de Noerio, sacriste dudit monastère, G. de Dalbs, prieur de Saint-Antoine de Toulouse, et Ar. Crespels, prieur de Sainte-Colombe de Saverdun, qui étaient présents; il cita aussi par lettre les prieurs de Saint-Germier de Muret, de Bérat et de Peyrissas, et les moines de Lezat.

Au jour fixé, comparut un moine de Lezat, Vidal d'Ysaort, qui craignant la colère de son abbé, venait demander d'être protégé contre lui. Alors le sacriste de Lezat, G. de Noerio, seul, se présenta aussi devant l'abbé de Moissac ; mais ce n'était pas pour faire sa déposition, bien qu'il fût cité ; il répéta, une fois de plus, qu'il ne venait pas devant l'abbé de Moissac comme devant un juge; il venait seulement demander de la part de P. de Dalbs que Vidal d'Ysaort rentrât à Lezat. « On répondit qu'il ne pouvait ni ne devait rentrer pour le mo- ment, car il était nécessaire pour dire la vérité dans l'enquête. »

L'abbé de Moissac, voulant faire preuve de condescendance,

1. Aujourd'hni X.-D. du laur.

2. Montgazin: Haute-Garonne, arr. Muret, C^" Carbonnei

l'affaire de pierue de dalds 47

cita de nouveau Ttibbé de Lezat, les prieurs et les moines pour le vendredi après l'Epiphanie (9 janvier 1254). Ce jour-là, il siégea à Saint-Sernin-du-Taur de Toulouse jusqu'à la nuit : deux témoins seulement, Vidal d'Ysaort et Augier, moines de Lezat et prêtres, prêtèrent serment et déposèrent. Des douze prieurs ou moines cités comme témoins pour le samedi après le dimanche de la Quadragésime' (6 mars), à l'église du Taur, aucun ne comparut.

Cependant, il sullitque l'abbé de Moissac se transportât en personne au monastère de Lezat pour qu'il y trouvât tous les témoins cités, qui déposèrent amplement. Ce fut le samedi après la fête de saint Georges (25 avril), et le jeudi après le dimanche l'on chante « Jubilate Deo » (7 mai) que ces témoins furent enfin interrogés par l'abbé de Moissac, assisté d'Arnaud de Fumel, notaire de Toulouse, de maître G., prieur de Saint-Pierre-des-Cuisines de Toulouse, et de B. du Pin, sacristede Campredon', moines de Moissac et prêtres.

Les Dépositions

Il y eut trente-six témoins entendus, parmi lesquels : Guil- laume de Birac, chevalier, oblat de l'église de Lezat, P. de Montredon, notaire public de Saverdun, Ar. de Bruno, écri- vain public ; les autres sont des moines de l'abbaye de Lezat, ou en dépendant, ou des clercs oblats de ce monastère. Au reste, chacun d'eux dit que les crimes de leur abbé étaient connus publiquement', ce qui confirme la parole d'Inno- cent IV en son mandement : « Il offense Dieu et scandalise les hommes. » Les articles sur lesquels les témoins furent interrogés étaient au nombre de sept : incontinence, alié- nation et dilapidation des biens du monastère, parjure, simo-

1. Feria sextapostdominicam in xl'\

2. Ar. de Fumello et B; de Pinu, sacrista Campi Rotundi. Campre- don, Ariège, commune deVilhac;

3. « Publiée diffamatus est; »

48 F.-E. M.VKTIX

nie, faux et violation de la règle. Mais ils peuvent se réduire à six, car constamment on confond les faits d'aliénation et de dilapidation des biens du monastère.

I. Incontinence. L'incontinence de P. de Dalbs était de notoriété publique ; il l'exerçait en tous lieux. Tout d'abord^ à Lezat, il entretenait deux femmes, nommées Munda et Mar- tine, t^u'il faisait souvent venir dans sa chambre : il y tint même Munda pendant toute la semaine sainte. « Ces deux femmes se montraient fort jalouses l'une de l'autre; on les vit pour cela se battre en public. » De Munda il avait plusieurs enfants; et il lui trouva un mari de la façon suivante: il offrit à un certain R. de Baion de l'épouser, celui-ci sur son refus se vit priver du pain et du vin auxquels il avait droit à rabba37e; un cer- tain G. Pierre accepta et reçut en récompense le pain et le vin de l'abbaye, avec une charge de notaire. P. de Dalbs maria de même une de ses maîtresses à son cousin germain, Pons de Sivraco. L'abbé de Lezat a eu un commerce charnel avec des femmes^ de toutes les classes de la société, procédant, soit par la force (il en emprisonnait certaines jusqu'à ce qu'elles eussent cédé), soit par la séduction : à Muret, c'est sa cousine, Fabrisse de la Tour, femme d'un notaire; à Saverdun, la mère et la fille; à Saint-Germier, c'est la servante du prieur; ailleurs, ce sont des courtisanes, une Lombarde, une Catalane; ou bien des femmes mariées. A Toulouse même, il a une maîtresse, la sœur de Guillaume Calaub, dont il a eu des enfants. Une de ses concu- bines, nommée Triolette, dépose « qu'il a eu affaire avec elle dans une chambre, à Saint-Ybars* et ailleurs ». L'acte le plus immoral de P. de Dalbs est celui-ci : « Il fit avec Richarde de Maornaco le pacte de recevoir elle et son fils comme oblats de l'église de Lezat, si elle lui livrait sa fille pour un commerce charnel. Et ainsi fut fait. » Hugues, prieur de Lezat, accuse aussi son abbé « du vice sodomique ».

1. « Defloravit a2:)ud Lesatum .V. mulieres. »

2. Saint-Ybars, Aiiège, arr. Pamieis, c"" le Fossat.

l'akfaiui-: dk i'ii;i;i;i'; m-: dai.ms -19

II. Aliénation et dilapidation des biens du monastère. P. de Diilbs est accusé d'avoir vendu au comte de Foix' la moitié des droits dont son monastère jouissait dans la ville de Lezat^ et la moitié des droits possédés dans la ville de Saint- Ybars. Il a obligé l'abbaye de Lezat à l'alberge de cent cheva- liers chaque année ou au payement de cent vingt sous de Morlaas, en vendant une donation qui avait été faite au monastère. Il a encore forcé les prieurs a lui payer des impôts. Et des sommes ainsi obtenues il n'a rien consacré aux intérêts de l'abbaye, mais, au contraire, il a tout gardé pour son usage personnel.

On verra d'autre part que certains des faits de simonie qui lui sont reprochés se confondent avec le crime d'aliénation de biens de son église.

III. Simonie. Les faits allégués de ce chef sont ti'ès graves, mais peu nombreux. Les dépositions des prieurs de Lezat, de Saint-Béat, de Peyrissas, de Sainte-Colombo, de Montredon, et des autres témoins établissent que l'abbé de Lezat a reçu de Raimond de Casais, moine de son monastère, deux cents sous pour prix de la collation d'un prieuré. C'est pour un prix de cent sous que P. de Dalbs a assigné la chapellenie de Pierrelatte à Pierre de Avalka. Il a reçu une mule de Argol de Birnos, et en échange il a conféré à Adémar, frère de celui- ci, le prieuré de Saint-Béat.

L'abbé de Lezat a encore vendu le prieuré de Saint-Médard pour cinq cents sous de Morlaas, l'église de Saint-André de Basseville pour le même prix, et l'église du Fossat* à diverses personnes, en concession viagère.

IV. Parjure. P. de Dalbs n'a pas tenu le serment qu'il avait prêté au prieur de Castel-Sarrasin '. Il a commis un autre parjure plus caractérisé : il avait promis à A. d'Aragon, alors

1. Cf. Hist. </én. de Lanr/iimhc. t. VI, p. 7-32, note fi; ihid., t. VIII, col. 1068, 1512 (n" 344, 505).

2. Le Fossat, Ariège, arr. Pamiers.

3. Castelsarrazin, Tarn-et-Garonne.

Moyen Age, t. XIII. 4

50 K.-E. MAlîTIN

prieur de la Daurade, de ne pas lui faire perdre son prieure; or, il donna par la suite sept cents sous de Morlaas à un des moines de Lezat, B. Barrau (qui a déposé comme témoin), en le chargeant d'aller en cour de Rome obtenir du Pape que A. d'Aragon ne recouvrât jamais ledit prieuré, (pi'il lui avait fait perdre.

V. Faux. L'abbé de Lezat s'est rendu coupable de faux, en se servant constamment d'un sceau de l'abbaye qu'il avait fait fabriquer à l'insu de ses moines.

VL Violation de la règle monastique. On croira sans peine qu'un abbé qui avait de telles mœurs ne faisait pas régner la décence et la piété dans son monastère. « Jamais on ne Ta vu célébrer persoimellement la messe » ; il ne venait pas au chœur chanter les heures canoniales, surtout les matines, sans doute parce qu'il dormait « dans des draps de toile' ». Il mangeait de la viande le samedi et aux Quatre-Temps, et ses moines avec lui. Il n'était pas sévère pour eux : jamais le silence n'était observé il convient; les moines n'étaient pas forcés de coucher dans le dortoir; les offices étaient négligés ; aussi laissait-on des porcs séjourner dans le cloître et dans le chapitre, autour de l'église: l'abbé leur a fait jeter de la ven- dange pourrie dans le cimetière, pour la leur faire manger là. Des moines étaient accusés de fornication, et même mis en prison et tués : l'abbé ne s'en occupaitpas.il ne réprima pas non plus l'un d'eux, B. Gimier, dont on disait partout qu'il « tondait les monnaies ». Quant aux moines malades et infirmes, il ne s'en souciait pas davantage, ne les invitant même pas à sa table quand il mangeait de la viande; mais il se moquait et faisait rire d'eux. C'est P. Rossels, moine et prêtre, vieux et aveugle, qui le rapporte, et il ajoute qu'on lui a jeté au visage « des en- trailles de chevreau' ». Le prieur do Lezat dit encore que, bien qu'il ait été confesseur de P. de Dalbs. il ne l'a jamais entendu avouer un péché mortel.

1. « In linteaminibus lineis. »

2. « Dixit quod fuit ])ercussus cuiu intestinis cujusdam edi. »

l'affaire de pierre de dalbs 51

La Condamnation

Après les dépositions des témoins, Tabbc de Moissac con- tinua la i)roccdurc en citant personnellement P. de Dalbs devant Tévêque de Toulouse, le mercredi après le dimanche l'on chante « Cantate Domino » (13 mai\ dans 1 église de Saint-Quentin à Toulouse, pour ouir la lecture des dépositions. Au jour dit, l'abbé de Lezat ne comparut pas, ni personne pour lui. L'abbé de Moissac publia néanmoins les témoignages; mais, « pour ne paraître rien omettre des formalités », il cita encore P. de Dalbs, l'invitant à venir discuter les personnes et les dé- positions des témoins^ également dans l'église de Saint-Quentin, le samedi après l'Ascension ('23 mai), « ou, s'il ne voulait pas, tout au moins le lundi » suivant, pour ouïr « la sentence défi- nitive ». L'abbé de Moissac siégea le samedi, le lundi; il conti- nua môme le lendemain. Personne ne se présenta. Alors il constata la contumace et prononça la sentence, en présence de chanoines de Saint-Etienne et de Saint-Sernin de Tou- louse, parmi les(juels le chancelier du chapitre, Ar. Pellisson, de dignitaires et de moines de Moissac, de Lezat, et de la plu- part des témoins, clercs et laïques.

Dans sa sentence, l'abbé de Moissac résume les témoignages qui ont établi la culpabililé de P. de Dalbs. L'abbé de Lezat s'est montré indigne de son ministère par ses mœurs : « son incontinence est sullisamment prouvée par l'existence de ses enfants; il s'est livré â la turi)itudc d'un commerce charnel avec ses parentes, s'exposant à ce que sa bénédiction se changeât en malédiction, et sa prière en péché, selon la parole de Dieu, exprimée par le prophète ; « Maledicam benedictionibus vestris n {Malacli., II, 2). »

L'abbé de Moissac insiste principalement sur le crime de simonie, comparable, dit-il, aux crimes d'hérésie et de lèse- majesté. Et il rappelle la sévérité du Christ contre les chan- geurs et les vendeurs du Temple de Jérusalem. Il mentionne

V.-K. MAiniN

aussi la décision du concile général qui condamne « tout clerc séculier, sujet ou prélat, coupable de ce crime, soit en rece- vant, soit en donnant, à être chassé de son monastère sans espoir de retour, pour faire une éternelle pénitence sous une règle très rigoureuse ». En conséquence : « Nous, frère G., humble abbé de Moissac, chapelain de monseigneur le Pape, de l'autorité dudit et de l'autorité de notre juridiction ordi- naire, sur le conseil de plusieurs sages personnes.., révoquons monseigneur P. de Dalbs^ abbé de Lezat, du diocèse de Tou- louse, à nous immédiatement soumis, de toute dignité et de tout gouvernement de l'abbaye de Lezat, en donnant aux moines dudit lieu libre faculté d'élire un autre abbé. » L'abbé de Moissac termine en relevant tous les moines de Lezat de l'obéissance qu'ils devaient à leur abbé, et toutes personnes du serment qu'elles auraient pu prêter audit abbé de Lezat.

G. de Dalbs vint présenter sur ces entrefaites une appella- tion rédigée au nom de l'abbé et dn couvent de Lezat, « ou de la majeure partie dudit couvent ». L'abbé de Moissac le requit de montrer l'acte de procuration ; sur son refus, il excipa contre lui de ce qu'étant excommuniés il ne pouvait pas être procureur; cependant, s'il voulait exposer des motifs en faveur de Tappellation, il serait entendu. Mais G. de Dalbs « ne répon- dit rien et se retira à la manière d'un contumace' ».

Dès lors, la sentence pouvait recevoir son plein elîet ; la fonction de l'abbé de Moissac, comme juge, était terminée. Mais aucun document ne nous a été conservé qui nous fasse connaître, sur la suite de cette affaire, autre chose que le nom du successeur de P. de Dalbs \ /

F.-E. Martin.

1. C'était peut-être à cause de l'opposition qu'il avait faite à l'enquête qu'il était excommunié.

2. « Recessit contumaciter. »

.3. Bibl. Nat., coll. Doat, 102.

L'aFFAIRK DK PIKRUl'. UV. DALMS 53

APPENDICE

Sentence de l'abbé de Moissac

In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, amen. Veritatis est verbum, organo dominice vocis emissum, ut arbor qui inutiliter terram occupât succidatur. Cum igitur P., abbas Lesatensis, adeo malade se suspicari permiserit ut claniores et fama ad aures nostras perveneruiit, qui diucius sine scandale dissinuilari non poterant, vel sine periculo tolerari, quod ipse esset super symonia, dilapidalione, parjurio, incontinentia, criniino faisi, transgressiono observancie re- gularis enorniiter et publiée diiïamatus, ne sanguis ipsius de nostris manibus requiratur juxta auctoritatem Domini, descendimus ad mo- nasterium Lesatense, cum ecclesie nostre senioribus, ut videremus si claniores, qui ad nos pervenerant, opère complevisset. Et tandem, inquisita diligentissime veritate, invenimus suffîeienter probatum per testes, onini exceptione majores, quod dictus P., abbas Lesatensis, proprie salutis immemor, commisit multociens vicium symonie, reci- piendo ex pacto pro pecunia vel possessionibus monachos et donatos, vendendo eis quam dare debuerat gratiam Spiritus Sancti. Item invenimus sufficienter probatum quod monasterium Lesatense per eum ad irreparabile dissolutionis opprobrium est deductum, cum medietatem justiciarum, rerum mobilium in villa Lesatensi, et medie- tatem ville et territorii Sancti Eparcii, et magnam ecclesiam monas- terii alienavit, in dicti monasterii magnum prejudicium et gravamen, et obligavit dictum monasterium ad albergam cum .C militibus annuatim, vel ad .CXX. solidos Morlanensium. Vendidit etiam prio- ratus et ecclesias ad vitam tenencium, et fructus monasterii incon- sulte distrabit, et reddilus monasterii non convertit in utilitatem ipsius, set tenet ficte monasterium obligatum, sicut manifeste aparet superius in actis. Item nobis constitit per publicum instrumen- tum, quod dictus abbas Lesatensis juramentum prestiterat quod nun- quam esset contraA.de Aragone, tune priorem Deaurate, et tamen, immemor juramenti, fuit postmodum contra ipsum, sicut manifeste est in actis probatum. Item de incontinentia est adeo notorium

51 F.-E. M AirriN

contra ipsum quocl non est locus inliciationi, quia filiis parvulis con- vineilur longam sui corporis continentiam non habere. Item, de crimine falsi, est sufficienter probatum quod fecit sigillum sub nomine convontus Lesati, et ociam sigillavit. ignorante conventu. Item, de transgressione ordinis, probatum est contra ipsura quod per omnia et in omnibus turpiter abjescit jugum Doniini, fctores libidinis am- plexando, et regularem observMnciam non servando. Cum igitur tanta sit labes hujus criminis symonie quod ad instar lieresis et crimine [sic) lèse majestatis débet symoniacus judicari, et inter cetera crimina ecclesiastica symonia optinet primum locum, cum symoniaci valde primi et precipui lieretici ab omnibus sint fide- libus respuendi, et omnia crimina adcomparationem symoniace heresis quasi pro nichilo reputantur; unde, in Veteri Testament©, Gyesi fuit lepra percussus, quia Nahamam Syro voluit vendere gratiam sani- tatis; et dominus Jhesus Christus nusquam reperitur in toto textu Evangelii tanta severitate, tam distriota censura justicie peccatores corripuisse, cum non soluni eloquio increpans, verum eciam sancto flagelle de testiculis verberans omnes eliminavit de templo, monstrans quod taies negociatores non sicut ceteri peccatores suntrecipiendi, set a templo Dei et a sancta ecclesia longius prohibendi ; unde per nùm- mularios,quos Dominus ejescitde templo, ecclesiastici beneficii deten- tores congrue designantur, quidomum Dei, Evangelio teste, speluncam latronum efficiunt ; propter quod statulum est in concilie generali ut quicumqueregularistalem comiserit pravitatem, tam recipiens quam receptus, sive sit subditus, sive prelatus, sine spe restitutionis de suo monasterio expellatur, in locum arctioris régule ad agendam perpe- tuam penitentiam detrudendus. Verum, quia iste morbus cancerosus est sicut lepra, necesse est ut ferro ignito penitus abscidatur, ne una ovis morbida inficiat sanas oves ; quod enim agitur a prelatis, facile trahitur a subditis in exemplum. Super eo vero quod aliénasse pro- batur, est Lesatensi monasterio providendum, ne penitus distruatur; valde enim iniquum est, et ingens sacrilegium ut quecunque, vel pro remédie peccatorum, vel pro sainte ac requie animarum suorum, unusquisque venerabili ecclesie contulit autreliquit, ab hiis a quibus maxime servari convenit, in alium transferri vel converti permit- tantur. Unde taies debent a suis aministrationibus removeri, et licet vellent reddere ecclesias suas indempnes, nam restitutio non im- mulat malivolum prelati animum, et periculosum est quod ecclesia

i.'.\i'i'.\iii!-: m: i'ii;iîiîi-: iw. n.M.ns 55

prolatum rdinoat fraiulatorom, quod manifeste iii islo prelato aparet qui vendidit prioratus et ecclesias pro raodico precio ad vitam tenen- cium in fraudem monasterii, et tenet fictc dictum mona=;teriuni obli- gatuni. Unde eo ipso ab aministratione temporalium ot spiritualium videtur ipse suspensus et penitus a regiminc amovendus. Item de parJLirio manifestum est quod illi non merentur ecclesias regere qui sunt crimine parjurii irretiti, et niulto minus nionasteria, quia taies prelati, sine judiciorumstrepitu, ex levibus causispossunt a suis ami- nistrationibus removeri. Licet autem de facto incontinentie non esset ita do facili presuraendum, tamen quia probatur esse notoriura quod turpitei' bujus vicio se involvit contra fedus natale affines suas et consanguineas carnaliter cognoscendo, ne benedictio ejus in male- dictionom convertatur, et oratio in peccatum, testante Domino per prophetam : Maledicani, inquit, benedictionibus vestris, providendum est ne saltem ulterius sua feditate dictum monasterium poUuatur. Ex hoc autem quod sigillum solus fecit fabricari de novo, sub nomine conventus, et ignorante conventu, et sigillavit, eo ignorante, incurrit vicium falsitatis, et exinde potest merito formidare. Abbas cciam, si prevaricator ordinis fuerit aut contemptor, sive negligens, aut re- missus, pro certo novorit se non solum deponendum, set etiam alio modo, sccundum regulam, castigandum, cura ofïonsa nonsolura pro- pria set eciam aliéna de suis manibus requiratur. Ex hiis omnibus et aliis que contra ipsum inveniuntur probata, nos frater G., humilis abbas Moysiacensis, domini pape cappellanus, auctoritate ipsius et auctoritate nostre ordinarie jurisdictionis, habite plurium virorum prudentum consilio, assistentibus nobis magistro G. priore Sancti Pétri de Coquinis Tholosani, et fratre B. sacrista Campi Rolundi, monachis nostris, et aliis bonis et religiosis viris; in nomine Domini nostri Jhesus Christi cum apostolo omnem inhobedientiam ulcisci voleutes, licet absentes corpoie, présentes tamen spiritu, cum ipsius absentia Dei presentia impleatur, dominum P. de Dalbs, abbatem Le- satensem, Tholosane diocesis, nobis immédiate subjectum, sen- tentialiter in scriptis removemus a regimine, dignitate, et guberna- tione abbacie Lesatensis, dando monachis ejusdem loci liberam facultatem alium eligendi. Insuper absolvimus omnes monachos et donatos ab hobedientia et subjectione ipsius; absolvimus eciam omnes homines a juramento, si quod sibi prestiterant, intuitu abbacie, cum dicto abbate a regimine abbacie remoto juramentum hujusmodi non

56 r.-K. MAiniN

debeat observari. Hec sententia lata fuit die martis post Ascen- cionem Domini, in presentia magistri Arnaldi Pelissoni, cancellarii Tolosani, et doniinorum Fraacisci et Arnaldi Raimundi de Aspel, canoniehorum Sancti Stephani Tholosani; et in presentia Rogerii de Aspel, et Pétri de Drudanis, canonicorum Sancti Saturnini Tolo- sani ; et in presencia tesaurarii Burdegalensis et Raimundi de Ferre- riis, cappellani Sancte Marie Deaurate, et magistri B., fratris sui, et Cerebruni, et Guillelmi, operarii Deaurate, monachorum Moysiaei, et magistri Benedicti Nigri, et Arnaldi Crespelli, et Beloti, et 7\z. de Birnos, et B. Johannis, et Augerii Pétri de Villa Nova, Guillelmi de BiracG.de Bevilla, monachorum et donatorum Lesati,etRainmndide Monte Pesato, et G., prioris claustralis Deaurate, monachorum Moy- siaei, et Pétri Poncii, hospitalarii, et B. Rotberti, publici Tholosani notarii, et B. Garini, et Andrée de Claustro, et plurium aliorum cle- ricorum et laicorum. Et ego Arnaldus de Fumello, puplicus Tholose notarius, presens fui, etomnia ista acta scripsi, ut puplicus notarius, a dicto domino abbate Moysiacensi requisitus et vocatus' et scripta ista omnia [confeci] in presentia et testimonio magistri Arnaldi Pel- lissoni, cancellarii et canonici Sancti Stephani Tolosani, et magistri G., prioris Sancti Pétri de Coquinis Tolosani, et B. de Pinu, sacriste Campi Rotundi, Poncii de Mornaco, magistri Jo. de Villa, et plurium aliorum clericorum et laicorum. Et hec sententia fuit lata anno Domini CC'^ L" II II".

1. Ms. : et omnia sua vocatus.

COMPTES RENDUS

A. Lucn AIRE. Mélanges d'histoire du moyen âge. Études sur quelques manuscrits de Rome et de Paris. Paris, F. Alcan, 1897-181)!); 2 vol. in-Ss 99 et 175 p. (l'niversité de Paris. Bibliothèque de la Faculté des lettres. III et VIII).

La Faculté des lettres de Paris, en même temps qu'elle a entrepris la publication des positions des mémoires présentés pour l'obtention du diplôme d'études supérieures d'histoire et de géographie, a com- mencé h faire paraître une collection qui, sous le titre de BiblioUuiquc de la Faculté des lettres, compte actuellement huit volumes; trois d'entre eux intéressent les médiévistes : les deux recueils indiqués ci-dessus et un Essai de restitution des plus anciens mémoriaux de la Chambre des comptes de Paris, publié sous la direction de M. Langlois, par M. J. Petit, avec la collaboration de MM. Gavrilo- vitch, Maury et Teodoru. On rendra prochainement compte de ce dernier volume.

M. Luchaire, qui a présidé à la publication du premier des deux volumes, a consacré un mémoire au traité attribué à Hugues de Clers et intitulé : De senescalcia Francie. Ce traité, publié pour la première fois en 1610, par Sirmond, à la suite des lettres de Geofïroi de Vendôme, réédité par Baluze dans ses Miscellanea, puis par dom Brial dans les Historiens de la France; enfin par Marchegay et Salmon dans les Chroniques des comtes d^ Anjou, comprend deux parties. Dans la première, l'auteur prétend transcrire une relation, rédigée par Foulques Nerra, comte d'Anjou, des rapports de son ancêtre Geoffroi Grisegonelle avec Robert le Pieux : le roi aurait concédé au comte le sénéchalat héréditaire de France. Ce récit fabuleux a été universellement condamné par tous les historiens.

5S COMPTES RENDUS

Dans la seconde partie du traité, rauteur ,qui se présente lui-même comme jouant un rtMedans les événements, sous le nom de Hugues de Clers, conseiller du comte d'Anjou, rapporte les négociations qui au- raient eu lieu vers 1118-1120 entre Foulques V le Jeune et Louis VI, au sujet des droits du comte d'Anjou au sénéchalat héréditaire. Ces négociations auraient abouti à la reconnaissance des droits du comte par le roi, à la suite de quoi, en différentes circonstances, le comte aurait rempli les devoirs de son office. Cette partie du traité a donné lieu à des controverses : dora Brial la tenait pour authentique ; Ma- bille, dans l'introduction à l'édition de Marchegay et Salmon, la rejetait sans examen ; récemment M. Bémont, dans un article paru dans les Études d'histoire du moyen âge, dédiées à Gabriel Monod (p. 253-265', tentait une réhabilitation. M. Luchaire qui, comme Mabille, ne croit pas à l'authenticité du traité, a étudié la question sous toutes ses faces, épuisé toutes les sources de rensei- gnements pour étayer une thèse contraire à celle de M. Bémont. Il résulte de l'examen des souscriptions de chartes, que si Hugues de Clers était avant 1112, il ne paraît être devenu conseiller de Geoffroy le Bel, successeur de Foulques V, que vers 1145. Dès lors, du reste, Hugues joua un rôle actif dans les affaires politiques, surtout lorsque le comte d'Anjou, Henri Plantagenet, successeur de Geofiroi, fut devenu roi d'Angleterre ; dans ces conditions, il est peu vraisemblable qu'en 1117-1119 Hugues de Clers ait rempli les im- portantes fonctions de délégué de son souverain auprès du roi de France pour négocier une affaire politique. Pour la date des négo- ciations, M. Luchaire montre que les partisans de l'authenticité ne sont pas d'accord. C. Port adopte 1117, dom Brial 1117-1119, M. Bémont, juillet-août 1119 ; l'histoire des événements désignerait, selon M. Luchaire, l'année 1117, date inconciliable avec la mention dans le traité du sénéchalat de Jean de Garlande au moment des négociations, ce sénéchalat commençant en mai 1118. Sur ce point, si la remarque de M. Luchaire est à retenir, elle ne fournit peut-être pas un argument définitif contre l'authenticité ; nous ne possédons pas si bien l'histoire des événements qu'en procédant par élimination nous soyons sûrs do ne pas oublier quelque interstice entre deux évé- nements datés, interstice dans lequel pourraient avoir eu lieu les négo- ciations en question ; nombreux sont les faits que, à l'aide de synchro- nismes, nous ne pouvons placer que dans une période comprise entre

A. luchairk: mki.anc.rs [)'iiisTOinK nr moykn aok 59

deux dates extrêmes. Après la date, les acteurs. Ils se retrouvent tous dans les chartes angevines du temps de Foulques V, tous, à l'exception de Hugues de Clors, tous, même les délégués du roi de Franco, voilà qui est singulièrement significatif. Le comte, ayant reconquis son sénéchalat héréditaire, en exerce les prérogatives, et ces prérogatives sont étonnantes : il est le suzerain des autres grands officiers, il exerce un commandement spécial dans l'armée du roi ; bien plus, il juge en Franco, sans recours à la cour du roi, et juge en appel, sans se déranger, les affaires de tout le royaume portées à sa cour'. Tout cela est rapporté par l'auteur au milieu de menus faits exacts, avec des mentions de personnages connus qui vivaient bien alors. Il est aisé, malgré cela, de conclure avec M. Luchaire à des « invraisemblances énormes », à d' « évidentes faussetés » !

Deux sources du temps de Louis VII attribuent à Henri II l'exer- cice des fonctions de sénéchal. Gervais de Cantorbéry rapporte, sans qu'on ait de raisons pour en douter, qu'en 1158 Louis VII accorda au roi d'Angleterre d'entrer en Bretagne, « quasi senescallus régis Francorum ». Ceci ne semble pas indiquer une reconnaissance nouvelle du droit du comte-roi à une charge héréditaire, c'est du reste de cette phrase que M. Luchaire tire sa conclusion et nous la retrou- verons ; l'autre source du temps de Louis VII est Robert de Torigni, qui montre Henri le Jeune, fils de Henri H, remplissant en 1169 les fonctions de sénéchal du roi de France; mais l'auteur s'inspire visiblement du De Senescalcia, et par conséquent son récit ne peut servir à corroborer les assertions du traité; cependant comme l'abbé du Mont-Saint-Michel est l'historien officieux des Plantagenets, son récit indique du moins que la thèse du dapiférat angevin était à l'ordre du jour chez les officiers du roi d'Angleterre. Après les sources narra- tives, les documents diplomatiques. Un seul, une charte de Henri II relative à Saint-Julien de Tours, mentionne le sénéchalat du comte d'Anjou ; elle n'est pas datée, mais peut, d'après les noms des témoins, être attribuée à l'année 1158, et cette charte unique, qui est souscrite par Hugues de Clers, cela est à noter, ne se retrouve pas parmi les

1. M. Bémont a traduit mot à mot « s'il naît une discussiou sur un jugement fait en France «le passage « si vero contentio aliqua nascetur de judicin facto in Fraocia » que M. Luchaire interprète « si un jugement rendu par la cour de France ». Peut-être est-ce tirer du texte plus qu'il ne dit en réalité.

00 COMPTES RENDUS

documents venanl de Saint-.] ulien de Tours; Baluze qui l'a publiée Ta connue par un vidimus de 1288, inséré après coup dans un registre de Pliilippe- Auguste; cette charte, enfin, est souscrite par rarchcvêque de Tours contre qui elle est dirigée. On pourrait peut-être objecter ici que : 1" il est des actes excellents qui ne nous sont plus connus que par des sources étrangères aux archives même du destinataire ; 2" que la mention du sénéchalat du comte d'Anjou, en 1158, n'est pas une preuve de fausseté, puisque Gervais de Cantorbéry en parle et que l'on accepte son assertion ; 3" la souscription épiscopale, pour peu vraisemblable qu'elle soit, ne parait pas impossible. Le sénéchalat angevin semble si peu avoir été reconnu par Louis VII, qu'en 1179, au couronnement de Philippe-Auguste, Henri le Jeune présent à la cérémonie, laissa remplir les fonctions de sénéchal par Philippe d'Al- sace, en l'absence de Thibaud V, comte de Blois, sénéchal en exer- cice, alors qu'en raison de cette absence même, il avait une belle occasion d'exercer ses prérogatives sans contestation.

M. Luchaire, non content de démontrer que le traité n'est qu'un factum politique dénué pour le fonds de toute vérité, bien qu'exact dans beaucoup de détails, a essayé de fixer la date et les circonstances de sa rédaction. On a vu plus haut qu'en 1158 Louis VII autorisa Henri II à pénétrer en Bretagne « quasi seuescallus ». Or, le De Senesccdcia, mentionnant la sépulture de Geoffroy-le-Bel à Saint-Julien du Mans, n'a certainement pas été écrit avant 1154 ; Hugues de Clers en est donné comme l'auteur ; mais, Hugues de Clers, l'un des représentants du roi d'Angleterre dans son comté d'Anjou, était en correspondance avec Thomas Becket, qui précisément négocia l'affaire de llo8 ; enfin la fausse charte de Saint-Julien de Tours, qui fournit des arguments en faveur de la thèse soutenue par le De Senescalcia, et qui est souscrite par Hugues de Clers, paraît dater aussi de 1158. Tout cela concourt à rendre très vraisemblable l'hypothèse de M. Luchaire, que le traité fut rédigé par l'un des conseillers angevins de Henri II, au moment oîi Thomas Becket négociait avec habileté, « per industriam », dit Gervais de Cantorbéry, pour obtenir du trop simple Louis VII « viro nimis simplici », dit le même auteur, un titre qui permît au roi- comte d'exercer d'une farjon efïective son autorité en Bretagne \

1. Les réserves faites plus haut au sujet des preuves alléguées par M. L. contre l'authenticité de la charte de Saint-Julien n'infirment du reste en rien

A. LUCHAïKi;: Mi:i,A.\(.i:s d'iusi'oiui: nr moyf.n âge Hl

Le second mémoire du volume publié sous la direction de M. Lu- chaire est à ^L Dupont-Ferrier et est consacré à une étude sur Jean d'Orléans, d'après sa bibliothèque. Jean d'Orléans, très amateur de manuscrits, avait contribué à l'enrichissement direct de sa biblio- thèque, en exécutant lui-même des copies; d'autre part, il utilisait les pages blanches de ses manuscrits pour y mettre des recettes, y consi- gner ses réflexions, y noter ses dettes. Toutes ces mentions jointes à l'examen de la composition de la bibliothèque et à l'analyse de quelques pièces composées par le prince ont laissé à M. Dupont-Ferrier l'im- pression que, au point de vue littéraire, Jean d'Orléans fut un lecteur et un compilateur infatigiible, faisant (( servir l'accumulation des con- naissances ainsi acquises, à l'harmonieux développement de sa nature religieuse et de sa nature morale ». L'étude de M. D.-F. se termine par le texte annoté de l'inventaire de la bibliothèque du château de Cognac, dressé en 1467 après la mort du duc. La publication de M. Dupont-Ferrier esta rapprocher de celles consacrées antérieurement aux collections des princes de Valois-Orléans-Angoulême. Charles d'Orléans, le frère de Jean, fit dresser en 1427 un inventaire de ses livres, alors que retenu prisonnier en Angleterre, et voyant les Anglais menacer les villes de la Loire, il fit mettre ses collections en sûreté à Saumur, puis à la Rochelle. Cet inventaire a été publié en ] 843-1844 dans le tome V de laBibUothàque de l'École des Chartes, par M. Le- roux de Lincy. Ce savant avait eu la bonne fortune de retrouver, outre le texte de l'inventaire, des documents faisant partie des archives Jour- sanvault et fournissant des renseignements du plus haut intérêt sur les dépenses faites par Charles d'Orléans pour l'enrichissement et l'entretien de sa bibliothèque. Les livres de Charles d'Orléans, ramenés à Blois en 1435, passèrent par héritage à son frère Jean. Le fils de ce dernier prince, Charles d'Angoulême, père de François I'-'", avait hérité de la bibliothèque du château de Cognac; un inventaire dressé après sa mort, en 1496, a été publié en 1860 par M. Senemaud, dans le tome II de la 3-^ série du Ihdletln de la Société archéolof/ique et histo-

la conclusion générale de 1 emiiient professeur. D'autres indices de fausseté ont été indiqués par M. Dclhle (Journal des Sarants, 1898, p. 816-318). notamment la place anormale de la date et l'annonce sous une forme insolite des noms des témoins; en effet, ces noms, au lieu d'être précédés comme c'est l'habitude dans la chancellerie de Henri II du moi Tcstibus, sont précédés des mots lus andlen- tibus. (Voy. le texte Hist. de Fr., XVI, p. 17, note b.)

(V2 COMITES RlîNDUS

rigue de la Charente ; cet inventaire montre qu'en 1496 la collection tHait moins riche qu'en 14G7 : l'inventaire publié par M. Dupont- l'Vrrier compte en ed'et 148 articles, tandis que celui qu'a publié M. Se- nemaud n'en compte que 75, formant 180 volumes. On sait que les collections des ^^alois Angoulême vinrent avec l^'rançois F'r se fondre avec la collection formée par Charles VIII et Louis XII et conservée au château de Blois. Pour la suite de cette histoire nous renvoyons au Cabinet des Manuscrits de M. L. Delisle.

La note de M. Poupardin qui termine le volume est consacrée à Ebles, abbé de Saint-Denis, au temps du roi Eudes. M. P. démontre que, contrairement aux conclusions de M. Favre, il faut identifier comme un seul et même personnage Ebles, archichancelier du roi Eudes, neveu de l'évêque Gozlin, et abbé de Saint-Germaindes-Prés, de Saint-Denis et de Jumièges, et Ebles, abbé de Saint-llilaire de Poi- tiers, frèi'e de Ramnulfe II, comte de Poitou ; Ebles révolté contre Eudes, fut tué en 892, lors de l'expédition du roi en Aquitaine.

Le second volume publié par M. Luchaire, qui forme le tome VIII de la Bibliothèque de la Faculté des lettres, est consacré à des notices sur quelques manuscrits de Rome et de Paris, et particulièrement aux recueils épistolaires de l'abbaye de Saint-Victor. Dans une première notice, M. Luchaire relève les variantes que présente le manuscrit du traité de Suger sur la consécration de Saint-Denis (ms. Vat. Reg.571), par rapport à l'édition de Lecoy de la Marche, qui n'a été faite que d'après les éditions antérieures.

Une seconde notice est consacrée à la Chronique de Morigny (ms. Vat. Reg. 622 , il ne me paraissait pas nécessaire de consacrer une page à ce texte, alors que M. Mirot a décrit le manuscrit de Rome dans ses rapports à l'Institut et annoncé qu'il prépare une nouvelle édition de la Chronique.

Dans sa troisième notice, M. Luchaire répond aux critiques faites par Mabille dans son Introduction aux (^ironiques des comtes d'Anjou contre un fragment d'une histoire des comtes d'Anjou, attribué à Foul- ques le Réchin (ms. Vat. Reg. 173). L'exposé sommaire de M. Luchaire n'a pour but que de remettre la question en débat, sans prétendre poser encore une conclusion ferme sur la valeur du texte. Ces réserves faites par M. Luchaire au sujet des conclusions de Mabille sont com- plètement d'accord avec la doctrine professée à l'École des Chartes par

A. LUciiAïKi: : MANt.sciîiTs Dii KOMi: i:t PAUIS ()3

M. A. Molinier, qui a fait remarquer que l'argumentation de Mabille aboutissait à « trancher la question plus qu'à la résoudre ». Dans une courte note sur les Annales de Jumièges (ms. Vat. Reg. 553), M. Luchaire relève une intéressante mention relative aux rapports de Louis VII avec l'abbaye normande.

La notice sur le cartulaire de Saint-Vincent de Laon (Arch. Vat., Miscell. arm. XV, 145) ajoute quelques indications à celles qu'a fournies récemment par M. deManteyer, particulièrement au point de vue de la valeur d'une copie de ce cartulaire, qui est conservée à la Bibliothèque Nationale.

La description du ms. 450 du fonds de la reine se réfère à une série de textes soissonnais des xiv*^ et xv^ siècles, publiés par Martène dans son Amplissima Collectio. M. Luchaire attire l'attention sur la tra- duction en français d'un acte de Louis VIII, de mai 1225, qui paraît n'avoir encore été jamais signalé.

L'étude du texte des Miracala nnncti Dionijsii, d'après le manuscrit de la reine 571 et divers manuscrits de Paris et de Reims, a fourni à de M. Luchaire d'intéressantes remarques sur la composition de ce recueil ; un emprunt fait aux Gesta Darjobcrti par le rédacteur des deux premiers livres des Mirncula, qui écrivait sous le règne de Louis le Pieux, fournit un argument plus solide que ceux de M. Krusch au sujet de la date probable de la rédaction des Gesta (800-835). A un manuscrit de Reims M. Luchaire a emprunté le texte d'un fragment qui représente sous sa forme primitive le texte partiel le plus ancien que nous possédions des Miracala, ainsi que des notes historiques très curieuses sur la réception à Reims en 1086 du comte de Flandre, Robert II et de Robert Courteheuse. Le même manus- crit 571 du fonds de la reine a donnéjlieu à une autre note sur les manuscrits des Gesta Dacjoherti.

M. Luchaire a identifié avec le ms. 179 du fonds de la reine, le ma- nuscrit utilisé par Duchesne pour l'édition du célèbre recueil de lettres de Hugues de Champtleury. Ce personnage, évéque de Soissons non résidant, et chancelier de France sous Louis VII, s'était, après sa disgrâce, retiré à l'abbaye de Saint-Victor, c'est qu'il compila le très précieux recueil de lettres mis sous son nom. La comparaison du manuscrit avec l'édition de Duchesne donne des résultats moins im- portants qu'on n'aurait pu l'espérer; l'édition est fidèle, les suppres- sions insignifiantes, car elles portent sur des textes transcrits deux

64 COMPTliS RENDUS

fois dans le manuscrit ou déjà publiés ailleurs. M. Luchaire n'a noté comme omission à réparer que celle d'une lettre de Ilermannus, notaire pontirical. plus lard cardinal du titre de Sainte-Su/anne, au chancelier Hugues de Champlleury, pour lui recommander un clerc sans ressources ; ces observations sont suivies du relevé des variantes notables entre le manuscrit et l'édition. Un autre manuscrit de Saint-Victor, différent du ms. du Vatican, a fourni à Duchesne le texte de 21 lettres, imprimées à la suite du recueil dit de Hugues de Champlleury. Ce second manuscrit n'a jamais été retrouvé, mais le texte des lettres est dans les manuscrits latins 14615 et 14664 de la Bibliothi'que Nationale. Ces deux manuscrits, compilés au xvn« siècle, fournissent en outre le texte d'un grand nombre de docu- ments, lettres et chartes, du xii^ siècle, qui n'avaient pas encore été imprimés. M. Luchaire a tiré des textes inédits contenus dans ces manuscrits, ainsi que des parties inédites des compilations victormes de Jean de ïhoulouse, une analyse méthodique qui est le morceau de beaucoup le plus important et le plus intéressant de tout le volume; cette analyse comprend l'étude : 1" de la correspondance de l'abbé de Saint-Victor Ernis, ami de Hugues de Champlleury, 1161-1172 ; 2" des lettres relatives aux abbayes en relation avec Saint- Victor : Saint- Saturen Berri, Saint-Euverte d'Orléans, Sainte-Geneviève de Paris, Notre-Dame d'Eu en Normandie, Saint-Barthélemi de Noyon, Notre-Dame d'Eaucourt près Arras, Saint-Augustin de Bristol, Saint-Jacques de Guinemorra dans la Marche ; 3'' des lettres des évéques en relation avec Saint-Victor; 4" de la correspondance des papes ; 5" des lettres des cardinaux ; de la correspondance scolaire (écoles d'Angers et d'Orléans) ; des lettres relatives à la région de la Loire comprise entre le duché de Bretagne et le comté de Poitiers, aux localités de Machecoul et la Garnache. Un appendice qui se réfère à cette partie du mémoire de M. L. comprend l'analyse pièce à pièce des documents contenus dans les manuscrits latins 14615, 14664 déjà cités et 14368 (le*" vol. des Annales de .Jean de Thoulouse , avec publication in-extenso des nombreux fragments inédits.

Dans un dernier appendice, M. Luchaire a donné le relevé très sommaire d'un certain nombre de manuscrits du Vatican relatifs à l'histoire de France. Peut-être M. Luchaire eût-il pu grossir utilement cet appendice, qui vise seulement à être un relevé pratique et non un catalogue scientifique, en combinant ses notes personnelles, avec

11. F. i)i:L.\noi;i)i: : (.rii.i.AiMi: hi-; saint i'.\ riii s (i.")

celles qui ont été prises, suivant ruidre numérique, par les Bénédictins (Bibl. Nat. Coll. Moreau), et dans l'ordre des matières pas La Curne de Sainte-Palaye [ibid.), avec les indications vérifier) fournies par une concordance manuscrite qui a été transcrite en marge du cata- logue de Petau dans l'exeniplaire de Montfaucon de la Bibliothèque de l'Kcole française de Rome, avec les renseignements fournis par Betlimann dans le tome XII de l'/l/'c/u'o avec les nombreuses réfé- rences aux manuscrits du Vatican qu'on trouve dans les Monumenta Gennanirr et autres recueils de textes. Le volume se termine par une table des noms de lieux et de personnes, table d'autant plus utile que la diversité des documents examinés et l'intérêt des textes publiés font de ce recueil un livre de travail de première importance.

A. ViDIEK.

Vie de saint Louis par Guillaume de Saint-Pathus, confesseur de la reine Marguerite, publiée d'après les manuscrits par H. -François Delaborde.— Paris, A. Picard et fils, 1899; in-8'\ xxxii- 166 p. fCollection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire).

La Vie de saint Louis par le confesseur de la reine n'était pas une source inconnue des historiens, mais elle n'était utilisée qu'avec la circonspection commandée par une saine critique, parce que les ren- seignements qu'elle fournissait étaient pour la plupart impossibles à contrôler et à vérifier. Elle avait cependant une grande valeur, et c'est au nouvel éditeur qu'appartient tout l'honneur de l'avoir démontré. Le confesseur de la reine, dont le nom, Guillaume de Saint-Pathus, a été ingénieusement retrouvé par ^L D., déclare avoir composé son œuvre sur les documents de l'enquête ordonnée par le pape Boni- face VIII pour la canonisation de Louis IX. Ces documents et la copie qui en fut transmise à Guillaume ont disparu. Toutefois, les décou- vertes du comte Riant et de M. D. ont permis à ce dernier de comparer quelques fragments de l'enquête sur la Vie et les mi- racles du saint roi, et le texte du confesseur; et il s'est trouvé que la Vie de saint Louis reproduisait lidèlement la substance de ces frag- ments conservés par hasard : il était légitime, en l'espèce, de conclure du particulier au général, et de reconnaître à l'œuvre de Guillaume Moyen Age, t. XIII. 5

()6 COMPTES RENDUS

de Saint-Pathus tout sou prix'. Il y avait donc intcrctà donner une édition nouvelle et correcte, sinon des miracles, du moins de la Vie de saint Louis.

C'est cette édition que M. D. publie. Le texte est dressé avec tout le soin désirable. L'annotation très sobre est suffisante. Je me per- mettrai de soumettre à M. D. deux petites remarques. A la page 49, Guillaume de Saint-Pathus rapporte que saint Louis accorda une exemption générale à l'abbaye de Saint-Denis pour confirmer les pri- vilèges autrefois octroyés par le roi Charles et contestés aux moines par les seigneurs. M. D. écrit en note : « Cette exemption accordée par saint Louis en janvier 1259 (n. st.)... est, comme on le voit, antérieure à l'élévation de Charles au trône de Naples. » iVIais que vient donc faire ici Charles d'Anjou? Il est bien évident qu'il ne peut pas s'agir du frère de saint Louis; que saint Louis visait un diplôme d'exemption d'un roi Charles, et que ce roi Charles est nécessaire- ment un carolingien, très probablement Charles le Chauve. Le texte de Guillaume de Saint-Pathus ne contient donc pas l'erreur que semble lui attribuer M. D. A la page lOô, le texte porte que saint Louis « ne vouloit pas aprochier as reliques ne as sanctuaires besier le jour dont il avoit geu la nuit avec sa femme. Ce quint que il avoit esté la nuit est par desus eu cinquième tretié ». M. D. écrit (note 3) : « On ne trouve rien de semblable au cinquième chapitre » et il renvoie au xve (il eût fallu xvi et non xv). Il est vrai que la référence de Guillaume est inexacte, mais le passage allégué se trouve au sixième chapitre. M. D. avait déjà noté une erreur de même nature (p. 64, note 1). Il y a peut-être dans ces renvois inexacts un élément de cri- tique dont M. D. n'a point tenu compte, parce qu'il n'a pas cherché une explication à ces fautes.

M. D. pense que l'on envoya à Guillaume un abrégé des dépositions sur les miracles, et que c'est de ce résumé que le confesseur de la reine composa de toutes pièces la seconde partie de son œuvre; mais il estime que pour la Vie de saint Louis, Guillaume fit œuvre plus personnelle en résumant lui-même le texte intégral de l'enquête qu'on lui avait transmis. Les raisons qui légitiment cette assertion sont plausibles; mais j'avoue que la façon dont Guillaume parle de ses sources me rend hésitant : il ne fait aucune distinction entre les deux

1. M. Vidier avait déjà signalé aux lecteurs du Moi/en Af/e les résultats obtenus par M. Delaborde (Cf. Le MoijenA<je, 2'- série, 1. 1, p. 19S):

II. F. nKi.AnonnK : r.rii.i,AfMF. dr SArxT-p.\Tiifs 07

parties de la eopic qui lui fut remise. n'est pas cependant le point délicat. M. D. ne croit pas que nous ayons l'œuvre originale de (luillaurae de Saint-Pathus ; celui-ci a écrit sa Vie de saint Louis en latin, car on relève dans le texte français que nous possédons des traces évidentes de traduction (latinismes, obscurités, la rubrique de indaicione . Cette traduction ne fut pas faite par Guillaume, car on trouve des latinismes et des obscurités dans des amplifications ora- toires qui n'existaient pas à coup sûr dans les dépositions des témoins et qui sont nécessairement dues à la plume du confesseur; ne fallait- il pas que la rubrique c?e indaicione qui n'a aucun sens fût incompré- hensible pour avoir été reproduite telle quelle par le traducteur qui dès lors ne peut être Guillaume lui-même? Enfin il est impossible que la Vie de saint Louis et les Miracles aient été traduits par la même per- sonne : le style des miracles est plus clair, plus élégant ; le vocabulaire même est changé.

Je crois eu effet que Guillaume a rédigé son œuvre en latin et (ju'il y a eu deux traducteurs. Mais je crois aussi que l'un des deux tra- ducteurs, celui de la Vie de saint Louis, peut être Guillaume de Saint- Pathus, malgré les arguments de M. D. pour soutenir la thèse contraire. L'objection tirée des latinismes et des obscurités qu'on relève dans les amplifications oratoires n'aurait de valeur (|ue si nous étions bien certains que ces banalités sont de Guillaume; et nous n'avons aucune certitude parce que nous ignorons ce qu'étaient ces copies dont parle l'auteur et sur lesquelles il travaillait : si ces copies étaient des résumés des deux enquêtes, comme '\l. D. le suppose pour les Miracles seulement, elles pouvaient contenir ces courtes digressions générales; si même ces copies renfermaient le texte intégral de l'imquête, pour- quoi ces brèves amplifications n'auraient-elles pu se trouver dans les dépositions de témoins bavards? Il y a des gens qui aiment à déve- lopper les lieux communs. Heureuxencore, comme c'est le cas ici, quand ces développements sans intérêt ont trait à l'affaire. Et je crois que la part personnelle de Guillaume de Saint-Pathus est très minime^ La rubrique de indaicione peut être une excellente preuve qu'il y a eu avant le texte français qui nous est parvenu un texte latin sur lequel le premier est souvent calqué ; elle ne doit pas servir à démontrer que la traduction n'est pas de Guillaume; il n'est pas juste de dire que Guillaume a inventé ce mot indaicio et que le traducteur l'a laissé tel quel, « se réservant probablement d'en chercher plus tard l'équivalent

68 COMPTES RENDUS

fraiit^-ais ». Tout cela n'est qu'hypothèse vaine : on ne voit pas pour- quoi Guillaume eût de gaieté de cœur forgé un mot qui nepouvaitpas avoir plus de sens pour lui que pour nous. Guillaume savait le latin, peut-être le latin macaronique et savoureux d'un Fra Salimbene, puisqu'il confesse qu'il est un ignorant; mais encore, quand les igno- rants de cette sorte créaient un mot, ils l'allaient prendre dans la langue française. Induicio ne répond à rien ni en latin, ni en français. L'on sait avec quelle facilité les scribes du moyen âge acceptaient les lectures les plus étonnantes. Guillaume a pu emprunter cette rubrique à un texte mal lu, et cela pourrait légitimer la conjecture que Guillaume avait sous les yeux un résumé de l'enquête sur la vie, tout aussi bien que l'hypothèse d'un traducteur de Guillaume. Et j'accepterai plus volontiers cette opinion après examen des erreurs de référence que je signalais. Une première fois Guillaume de Saint- Pathus renvoie au chapitre ii quand le passage allégué se trouve au chapitre vi. Il faut bien admettre que cette faute n'étant pas impu- table à un traducteur, le chapitre vi a été tout d'abord le second. Après coup, Guillaume a ajouté trois chapitres; et le chapitre second est devenu le cinquième, et Guillaume y renvoie. Mais dans la rédac- tion qui nous est parvenue, ce cinquième chapitre est le sixième. Or, le chapitre ajouté après coup ne peut être que le premier : tandis que dans les chapitres 2, 3, 4, 5, on trouve des traces évidentes de latinité, dans le chapitre premier, on n'en remarque aucune; et bien qu'il soit inspiré de Geofïroi de Beaulieu et delà déposition de Charles d'Anjou, ce chapitre est manifestement pensé et écrit en français. En faisant sa rédaction française plus complète que les rédactions latines, Guil- laume n'a point pensé à rétablir partout la concordance entre les chapitres et les renvois'. D'ailleurs, comment supposer que Guillaume ne dût pas entreprendre lui-même la traduction de son œuvre! C'est en effet à la requête de Blanche de F'rance que Guillaume a composé, son ouvrage entre le 4 décembre 1302 et le 11 octobre 1303 ; or, à cette date, les laïques ne savaient plus guère le latin. Blanche de France le savait-elle? Si elle le savait, pourquoi se serait-on donné la peine de traduire ce texte à peine achevé de rédiger? Remarquons-le, « le plus

1. M. D. a signalé que dans le plus ancien ms. le iliot cinquième avait été laissé en blanc; et que In 1" correcteur l'avait ajouté. Cette faute du correcteur s'explique tout naturellement par l'emploi de la dernière rédaction latine, moins complète que la rédaction franeaise.

d'arbois de jlhainvillk: civilisation des celtes ()9

ancien manuscrit est dune écriture des environs de 1300 ». 11 fut corrigé deux fois avant d'être copié vers 1320. Et si Guillaume a lui- même traduit la Vie de saint Louis et non les Miracles, c'est qu'il dut sans doute mourir avant d'avoir terminé son entreprise.

Léon Levillain.

IL d'Arbois de Jibainville. La Civilisation des Celtes et celle de l'épopée homérique. (Coursde littérature celtique. T. VI.) Paris, Fontemoing, 1899 ; in-S», .\vi-418 p.

De la comparaison qu'il a établie entre la civilisation des Celtes et celle de l'épopée homérique, M. d'Arbois do Jubainville n'a pas prétendu conclure aune filiation entre les deux civilisations, ni même à une parenté, mais simplement constater une fois de plus cette loi : que toutes les sociétés suivent un développement analogue et par- courent les mêmes étapes. Bien qu'il y ait de grandes différences entre la société grecque, telle qu'elle apparaît dans Y Iliade et VtJdijsi^ée, et la société celtique, telle que nous la font connaître des sources qui d'ailleurs sont dans le temps très éloignées les unes des autres, et dont quelques-unes, comme les poèmes épiques irlandais, sont de rédaction assez récente, il y a cependant des ressemblances qui auto- risent à affirmer que les Celtes, avant l'ère chrétienne, et même pos- térieurement, en tant qu'il s'agit des populations de l'Irlande, en étaient au même point de leur évolution que les Grecs huit siècles avant notre ère. En tout cas, les rapprochements entre l'épopée homérique, d'une part, et les écrivains grecs et latins, pour ce qu'ils nous donnent de renseignements sur les Celtes, et les poèmes irlan- dais, d'autre part, sont un moyen d'investigation légitime pour com- pléter nos connaissances si bornées et si éparses sur les mœurs et les institutions celtiques.

Par exemple, Diodore de Sicile, parle des repas qui se donnent chez les Celtes : pour honorer les hommes les plus braves, on leur sert dans les festins les plus beaux morceaux de viande. Il n'en allait pas différemment dans le monde des héros d'Homère, oùAjax, vain- queur d'Hector en combat singulier, reçut d'Agamemnon le dos entier d'un bœuf dont le reste fut partagé entre les autres guerriers. M. d'A. de J. est amené ainsi à parler des combats singuliers livrés en présence de deux armées, et dont l'usage se retrouve chez les

70 COMPTES HENDUS

C'eltes comme chez les Grecs. Autre trait commun aux deux civHi- sations : les Grecs avaient, pour chanter leurs exploits, des aèdes qui correspondent aux bardes des Celtes. Diodore de Sicile et Stra- bou mentionnent les devins qui dans le monde celtique constituent, comme dans la littérature homérique, un groupe d'individus distinct de celui des prêtres. Les druides remplissaient, eux aussi, les fonctions de devins, mais ils étaient avant tout des prêtres. Les druides formaient une corporation, ce qui a donné lieu à une théorie d'après laquelle les druides seraient les ancêtres des moines irlandais. ^L d'Arbois de .lubainville combat cette doctrine. Dans aucun texte, ni de l'antiquité, ni du haut moyen âge irlandais, il n'est question de vie en commun pour les druides. D'ailleurs, les origines du mo- nachisme chrétien en Irlande sont tout ce qu'il y a de plus clair. On a prétendu aussi que les premiers moines irlandais étaient des druides convertis. « Les deux mille frères de Sletty, écrit dom Pitra, qui chantaient jour et nuit, divisés en sept chœurs de trois cents voix, répondant aux fils de saint Martin, étaient, d'après la légende, les enfants du druide converti Fiek. » Or, Fiek n'était pas un druide, mais un Jîle, un devin. Ajoutez que les druides ont été en Irlande les plus grands ennemis de l'enseignement chrétien. M. d'Arbois de Ju- bainville s'étend longuement sur les druides ; c'est qu'il lui arrive de perdre de vue le sujet même de son livre ; les lecteurs ne s'en plaindront pas, car les pages qu'il consacre à la civilisation celtique, considérée en elle-même, ne sont pas les moins intéressantes. L'ensei- gnement des druides, les croyances religieuses des Celtes, l'anthro- pomorphisme, qui est un caractère commun aux dieux homériques et celtiques, ont fourni matière à un chapitre oij sont mises en lumière les ressources que l'historien des idées peut trouver dans la philo- logie. Les conceptions de la vie ultra-terrestre sont différentes chez les Grecs et les Celtes, et de même les modes de sépulture. Cepen- dant il y a des points de contact ; ainsi l'idée de la nécessité d'une barque pour arriver au séjour des morts ; mais c'est un détail qu'on retrouve dans l'Inde, en Egypte, en Scandinavie.

Le chapitre IV est consacré à la famille dont la base est chez les Grecs comme chez les Celtes la monogamie, laquelle n'est pas un obstacle au concubinat ; le mari peut avoir pour concubines ses femmes esclaves. Il n'y a qu'un passage de César qui mentionne la pluralité des femmes en Gaule. Mais dans l'épopée irlandaise, on

nr\niKiî : nof imknts ixTKnKssANT la nKi.GiguE 71

trouve plusieurs exemples de polygamie. Quant à la polygamie, s'il n'en est pas question chez Homère, elle a existé à Lacédémone ; César l'attribue aux Bretons ; on la retrouve dans les poèmes irlan- dais. " Chez Homère, les femmes légitimes : 1"^ sont achetées à leur père par le mari ; 2" elles reçoivent de leur père une dot ; 3" elles obtiennent de leur mari des présents qui peuvent quelquefois avoir assez d'importance pour constituer ce que l'on appellera plus tard douaire en français... L'usage d'acheter les femmes libres qu'on épouse a été général dans le monde indo-européen ; il se trouve en Irlande. Il a existé évidemment en Gaule... » La dot s'appelle en lihinde iimol, en gallois agireddy. Le douaire correspond au tinnficra irlandais ; il était usité en Gaule, mais on ignore son nom.

Le chapitre V est intitulé (( la guerre ». L'auteur passe en revue les armes défensives et offensives. H insiste longuement sur le char de guerre qui était encore en usage en Gaule vers l'an 90 avant notre ère, mais que César ne rencontra plus qu'en Grande-Bretagne. Le char de guerre paraît être d'origine chaldéenne. Il se répandit en Egypte, en Italie, en Gaule, en Grande-Bretagne et en Irlande. M. d'Arbois de Jubainville marque les différences entre le char grec et le gaulois.

Pour conclure, « la parenté entre Celte et Grec homérique tient sur certains points à une origine commune ; les mots qui veulent dire père et mère, par exemple, sont décisifs. Mais l'accord sur beaucoup de détails s'explique par les lois générales de l'esprit humain et par le degré de civilisation... Les Gaulois, pendant les trois siècles qui ont précédé notre ère, les Irlandais, tels que nous les dépeint leur littérature épique la plus ancienne, mise par écrit dans le moyen âge, étaient à peu près au même degré de civilisation que les Grecs et les Troyens de l'épopée iiomérique environ huit cents ans avant Jésus- Christ ». M. Prou.

Ch. DiMviER. Actes et documents anciens intéressant la Belgique. Bruxelles, 1898 ; in-8% 462 p.

Sous ce titre M. Duvivier a publié cent quarante-sept documents, la plupart inédits, du ix" au xive siècle, qu'il a recueillis au cours de ses recherches dans les archives et bibliothèques de la France. Ces docu- ments intéressent autant l'histoire du Xord de la France que celle de la

72 COMPTES RENDi:S

Bolgiiiuo. La transcription nous a paru avoir été soigneusement faite. L'annotation, dans laquelle l'auteur s'est particulièrement préoccupé d'identifier les personnes et les localités, permet d'utiliser immédiate- ment ces chartes. Une table alphabétique complète le volume. M. Du- vivier a classé les documents par églises, et il a donné sur les fonds d'archives qu'il a consultés des renseignements historiques et biblio- graphiques intéressants. Ainsi le recueil s'ouvre par une notice sur 1^ cartulaire du chapitre cathédral de Noijon, conservé aux archives de l'Oise, auquel les érudils ont emprunté déjà nombre de documents, mais d'oij M. Duvivier a pu tirer encore un document inédit ; la charte par laquelle le comte Hilduin, vers 900, donne à l'église de Noyon un fisc dans la cité de Tournai. Les deux cartulaires de l'abbaye de Sninl-Amand, conservés aux archives du Nord, lui ont fourni plusieurs pièces importantes du x«^ au xii^ siècle. Signalons particulièrement une charte de l'abbé Bovo, de l'an 1082, réglant, à la suite d'un procès, les droits du prévôt Ilériman, qui tenait son ministerium en bénéfice de l'abbaye, sur le territoire et les hommes de la ville de Saint- Amand; cette charte n'est pas transcrite dans les cartulaires; M. Duvivier l'a empruntée à une copie de la collection Moreau. Mais c'est dans le premier cartulaire qu'il a trouvé une charte de la fin du xi^ siècle, par laquelle une femme libre, Ivette de Cresplaine, se fait serve de l'abbaye avec toute sa postérité. En 1116, le comte Baudouin confirme la restriction apportée par Geoffroy, avoué de la ville de Saint-Amand, au service de plait que lui devaient les hommes de ladite ville. Il y avait trois plaits géné- raux, l'un après Noël, le second après Pâques, et le troisième après la Saint-Jean; chacun d'eux durait trois jours ; l'avoué les réduit à un jour. De la même année 1116, un règlement du comte Baudouin sur la man(jeuvre des écluses de Thun.

Dans le chapitre consacré à l'abbaye de Saint- Vanne, on trouvera un diplôme de l'empereur Conrad II, du 24 avril 1031, dont M. Duvivier a établi un texte critique. Viennent ensuite des chartes extraites des cartulaires de l'abbaye d'Hasnoti aux Archives du royaume à Bruxelles et à la bibliothèque de Douai, des divers cartulaires de Corbie à la Bibliothèque Nationale de Paris; la transcription de deux chartes de Saint-N'icolas-au-Bois, dont les originaux sont conservés l'un aux archives du Nord, l'autre à la Bibliothèque Nationale de Paris; la notice d'une charte de 1 évêque de Tournai , Rat bod , en 1087 , pour Saint-

m \ i\ ii:i! : ikx tmiùxis iNri:i:i:ssAN'r la HKi.cigiF. (.5

liifjuiei', extraite d'un cartulaire des archives de la Somme. Le fonds de l'abbaye de MarcJiienncs aux archives de Lille a fourni un diplôme faux mis sous le nom de Charlemagne. Le Glay avait déjà signalé ce faux. Mais M. Vanderkindere a pu déterminer l'époque de la compo- sition qu'il place au xn" siècle; dans la note qu'il a rédigée à ce sujet pour le recueil de M. Duvivior, il remarque avec raison que le faus- saire a pris pour modèle un document du xi^ siècle. A signaler dans une charte de la môme abbaye d'environ l'an 976 une mention de la loi Salique. 11 s'agit de trois manses cédés à titre de précaire à deux hommes moyennant le payement d'un cens annuel de trois sols : « Quod si de hoc censum ncgligens unquam usus fuerit, secundum legem Salicam cogatur emendaturus. » Les documents sur les exac- tions des avoués à l'égard des hommes des monastères du Nord de la Franco sont nombreux ; ceux que M. Duvivier a publiés d'après les originaux et relatifs aux avoués de Marchiennes, au xir- siècle sont parmi ceux qui donnent à ce sujet les détails les plus précis.

Le diplôme du roi de France Philippe pi" confirmant les privilèges du chapitre de Saint- Amé de Douai avait déjà été publié; mais M. Du- vivier en a donné le texte d'après l'original. Il y a quelques négligences de transcription, d'ailleurs insignifiantes; p. 186, hgneS, incliti, lisez inchjti : p. 187, 1. 4, tirannide, lisez tijrannide ; 1, 5, Broiolo, lisez Broiio; 1. 17, persecutoriun, lisez persequuioi-um; p. 188, 1. 20, Roherti, lisez Rotberti; 1. 22, Richeldin, lisez Richiidis.

C'est de la collection Moreau qu'ont été tirées des chartes du xn« siècle, relatives à l'abbaye de Crespin. Viennent ensuite les docu- ments relatifs aux abbayes de Bourbourg (tirés du cartulaire du xme siècle, conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris), cVAuchtj- les-Moines (d'après un Cartulaire du xvni° siècle, imprimé, mais très rare); Saint-André de Cateau-Cambrésis ; de Saint-Médurd de Soissons (d'après le cartulaire des Archives Nationales); d'Homblières (d'après le cartulaire delà Bibliothèque Nationale). Parmi les pièces extraites du cartulaire d'Homblières, il en est une d'un genre qu'on n'est pas habitué à rencontrer dans les cartulaires ; c'est une lettre de Hugues, abbé de Saint Amand, écrite vers 1159, adressée au prieur et aux moines d'Homblières, à l'occasion de la mort de leur abbé : il s'excuse de ne pouvoir leur porter lui-même ses consolations, retenu qu'il est par la présence dans son monastère de l'évêque de Tournai, gravement malade; mais si les moines d'Homblières 'dont il avait été

71 COMPTES RENDUS

l'abbô veulent reniottre l'élection d'un nouveau pasteur, il espère pouvoir y assister.

Les archives du Nord ont fourni un fragment de registre de rabba}'e du Saint- Sépulcre de Ctimbnd donnant la liste des cens payés à la chapelle de Notre-Dame de Bruxelles. Les autres églises dont les fonds d'archives ont contribué à la formation du recueil de M. Duvivier sont : l'abbaye d'yl»c7i//?, la cathédrale de Cambrai (un plait épiscopal de 941), les abbayes de S((ini-Aubert de Cambrai^ de Saint-Quentin-en-V Ile, de Saint-Pierre de Blandin, à Gand, de Saint-Vaast d'Arras. Parmi les chartes de Saint-Vaast, il en est une sur laquelle il convient d'appeler l'attention des historiens du droit : c'est une autorisation donnée par l'abbé à deux hommes de l'abbaye de passer d'une classe de tributaires dans une autre, afin de pouvoir contracter mariage : « Duo fratres qui erant ex familia sancti Vedasti de dimidia possessione pro niortua manu, ad ministerium cellerarii pertinentes, Ausbertus et Stephanus, me adierunt quoniam alter uxorem accepturus, nisi de lege duorum denariorum fieret sicut femina erat, conjugium assequi non poterat. » L'abbé «ionsent à ce que les deux frères « qui de dimidia possessione saneti Vedasti erant » changent de loi ihanc commutationem legis indulgemusjj et payent désormais le cens de deux deniers. A la page 347, on remarquera une traduction française, du xiii^ siècle, des coutumes d'Haspres (1197), village du Hainaut qui appartenait à Saint-Vaast. D'autres chartes de coutumes ont été tirées du Cartulaire de la terre de Guise : les fran- chises données à Hirson (Aisne), en 1156, par Geoffroy de Guise; celles que Jacques d'Avesnes accorda aux bourgeois de Buironfosse (Aisne), entre 1170 et 1189. C'est par ce document que se termine le recueil de M. Duvivier, dont la consultation sera indispensable aux érudits, qui y trouveront des renseignements les plus divers pour l'histoire du nord de la France et de la Belgique et des documents importants pour les institutions des xi® et xii^ siècles. M. Prou.

c. s( iim;ii)i:i! : ki.oi!i:.\i'i\is( ni-; it ankiihîs . l'^S.") i:{()| 75

G. SciiNKinFR. Die finanziellen Beziehungen der florentini- schen Bankiers zur Kirche von 1285 bis 1304. Leipzig, Duiicker und Ilumblot, 189!); in-8", x-78 p. (Staats- und social- wissenschaftliclie Forschungen. XVII, 1.)

L'auteur de cette dissertation s'est proposé d'esquisser Ihistoire des relations financières de l'Église avec les maisons de banques italiennes de 1285 à 1304. d'après les registres poutificaux, en grande partie publiés pour cette période de vingt ans. Il a consciencieusement dépouillé les registres publiés, noté tout ce qui concernait son sujet, et distribué ses fiches sous six rubriques : La curie et les banques de dépôt; la curie et les banques de. crédit; les banques et le collège des cardinaux; les banques et le clergé; situation juridique des banques vis-à-vis de la Chambre apostolique ; le personnel des banques auprès de la curie. Ces six chapitres, l'auteur les a encadrés entre deux chapitres d'introduction (les Banques et l'Église jusqu'à la aiort de Martin IV) et de conclusion îles Banques et l'Eglise jusqu'au temps des Médicis;.

Le sujet est intéressant, car, comme M. Schneider le dit, après d'autres, l'Église romaine, qui fit au xiii^ siècle d'immenses levées de fonds à l'occasion des croisades, etc.), fut, avec le commerce et la guerre, une des forces qui ont suscité les grandes puissances finan- cières des temps modernes. Malheureusement les documents jusqu'à présent imprimés ne fournissent que des données insuffi- santes sur les points les plus intéressants. L'auteur confesse, par exemple, que l'origine de la fortune et de la disgrâce des Francesi auprès de Boniface VIII est pour lui, comme pour nous, un mystère (p. 22); que Ion ne sait pas bien comment la curie s'arrangeait pour concilier les intérêts de ses a marchands », qui prêtaient de l'argent à quantité de prélats, et le principe canonique de l'interdiction des « usures » (p. 59); qu'il est impossible de dresser la liste des agents des banques qui ont résidé en cour de Rome de 1285 à 1304 (p. 67). « Et de tous les banquiers de l'Église, nous ne connaissons guère que les noms ; l'état des documents interdit encore à l'historien d'animer ces ombres » (p. 68). M. Schneider a été, cependant, en mesure d'établir quelques faits. Dans le chapitre u (la curie et les banques de dépôt), il a pu indiquer assez précisément les Compagnies finan- cières qui ont joui les unes après les autres de la faveur des papes; des Siennois d'ahord, puis partir de Martin IV , des Florentins:

76 COMPTES UENDUS

SOUS Boniface VIII, le triumvirat des Spini, des Mozzi et des Chia- reuti; la suprématie des Spini de 125)8 à 1301, etc. Le ciiapitre v (les banques et le clergé), contient un relevé instructil' des prêts, con- sentis à des prélats de toute la chrétienté par des maisons de banque italiennes, dont il y a trace dans les registres de la chancellerie de Boniface VI 11. En résumé, tra\ail bien conçu, exécuté avec soin'.

Ch.-V. Langlois.

Lefebvre. Leçons d'introduction à l'histoire du droit matri- monial français (Cours de 1898-1899). Paris, Larose ; in-8'\ 131 p.

Nous avons eu la bonne fortune de recueillir à l'Ecole de droit l'enseignement de M. Lefebvre. Aussi sommes-nous heureux aujour- d'hui de voir notre maître publier le résultat de ses travaux.

Cet enseignement a porté tour à tour sur la division des personnes et la condition des biens, sur le régime des successions et enfin sur le droit matrimonial. L'auteur pense et avec raison que ce dernier sujet offre un intérêt tout particulier à l'historien. L'étude des obligations et des contrats n'est qu'un prolongement des études de droit romain. La condition des personnes, le régime successoral ont un caractère plus national, liés d'un lien si étroit à l'histoire politique. Mais ces institutions ont disparu quand la Révolution a liquidé ce passé poli- tique. Par contre, notre droit matrimonial, notre droit de famille a été édifié par les mœurs ; il a soutenu notre société « au travers des longues épreuves du moyen âge et des temps plus modernes », il a survécu dans notre Code, et c'est un élément de force pour la société d'aujourd'hui.

Telles senties raisons qui ont amené l'auteur à publier son cours sur l'histoire du droit matrimonial français. L'auteur « a laissé à son livre la forme du cours oral pour lui mieux conserver son caractère d'exposé )), mais il a fait œuvre d'historien « qui n'affirme ou ne conjecture qu'à bon escient ». Aussi consacre-t-il une partie spéciale à l'appareil des notes et des documents.

Le premier fascicule seul paru contient l'Introduction générale, très étendue et pleine d'intérêt. L'auteur, après avoir exposé son plan et sa méthode, nous y trace les grandes lignes de son sujet.

1. P. 14. Charles de Valois est présenté comme le fils de Philippe le Bel.

LKFKiu'i!!-:: iNriJontTTiox a i/histoikk nr hkoit matimmoniai. 77

Son élude s'ouvre au lendemain des invasions. Il se demande: 1" quels éléments ont pu en se coordonnant donner naissance aux coutumes matrimoniales; quelles ont été les causes directrices de ces développements et de ces transformations.

Ces éléments sont la tradition romaine, les coutumes germaniques et surtout la doctrine chrétienne sur le mariage.

Les institutions romaines ont eu une inlluencc, mais négative. Elles ne reposent pas sur le mariage, mais sur la patria potcsias : aussi cette conception a-t-elle retardé de cinq siècles l'avènement de cou- tumes nouvelles en rapport avec des mœurs nouvelles.

Les coutumes germaniques nous laissent entrevoir tout un ensemble de « tendances morales vers l'intimité plus grande de l'union conju- gale ». Mais ce sont des tendances et non de vraies coutumes iuri- diques. Elles ont du moins préparé un terrain merveilleusement favorable au christianisme.

Ce fut l'élément principal. S'il est un domaine l'influence des mœurs devait être prépondérante, c'est bien celui du droit matri- monial. A des mœurs fortement chrétiennes devaient correspondre un mariage et des institutions inspirés de l'esprit chrétien.

Rien ne manifeste mieux cette influence que l'homogénéité des coutumes matrimoniales, opposée à la diversité extrême des coutumes féodales et successorales. Pour cette unité, une direction dans le développement est indispensable. Dans une législation écrite, cette unité est due à la science, dans un droit coutumier elle est nécessaire- ment l'œuvre d'une unité de direction morale.

Pourquoi cependant en pays de droit écrit, dans un milieu aussi chrétien, trouvons-nous des institutions matrimoniales si différentes? Pourquoi le christianisme n'aurait-il pas ici imprimé la même direction ?

Cette objection ne serait pas exacte pour le Midi du haut moyen âge. Nous trouvons chez les Gallo-Romains les mômes tendances vers une nouvelle organisation de la famille, et le christianisme y déve- loppait un droit matrimonial semblable à celui du Nord. La renais- sance du droit romain au xii^ siècle, infiniment plus intense dans le Midi, vint changer ce cours, et c'est alors que s'introduisit le régime de méfiance de la dot et du Velléien, non toutefois sans résistance. En Provence, les actes notariés du xiv'' siècle contiennent une renon-

78 COMPTES RENDUS

ciation si générale à l'inaliénabilité dotale et au Velléien, qu'elle devient une véritable clause de style.

C'est donc le christianisme qui a dirigé dans le Midi, encore coutu- mier, le développement du droit matrimonial.

Cette doctrine chrétienne était d'autant plus puissante que le moyen âge la trouvait formulée dans des textes précis. Je veux parler des textes de la Genèse, de l'Évangile et surtout de saint Paul, d'où l'exégèse tirait une théorie complète du mariage indissoluble. C'est sur l'épître aux Corinthiens, ch. vu, en particulier, que s'appuyaient les juriscon- sultes et les moralistes. Ils en déduisaient pour la femme son devoir d'obéissance : d'où l'autorité maritale et les pouvoirs du mari comme maître et seigneur de la communauté. Ce texte imposait par contre au mari un devoir strict de dévouement : de le douaire, le don mutuel et le partage par moitié de la communauté. Sans doute, la femme con- tribue pour une moindre part aux acquêts de la communauté, et la loi Ripuaire attribuait à la femme seulement un tiers de la commu- nauté. Mais pour le moyen âge, homme et femme ne sont pas des associés ordinaires, chacun recevant proportionnellement àsesapports: (( duo in carne una. » Ce sont ces raisons de sentiment, étrangères au droit romain et à nos idées modernes, qui expliquent l'extension extrême du don nmtuel et du douaire. Si la coutume intervient, c'est surtout pour limiter la générosité du mari.

Telle fut la doctrine chrétienne du moyen âge sur le mariage et ses effets. Gomment cette doctrine put-elle prendre la direction de la coutume? C'est qu'elle s'appuyait sur les mœurs et sur une répulsion extrême des Gallo-Romains aussi bien que des Barbares pour Rome et son droit matrimonial. Une image sert de conclusion à l'auteur ; saint Jérôme recouvre Gains dans le palimpseste de Vérone; dans le droit matrimonial c'est la coutume ciirétienne qui vient se superposer au droit romain et le recouvrir complètement.

Malheureusement, se termine avec l'Introduction, le 1'''' fascicule^ nous laissant vivement désirer l'apparition de l'œuvre complète.

J. Roman.

II. Haiskr. Ouvriers du temps passé X'Ve-XVI^ siècle);

Paris, F. Alcan, l8'JD; in-8'^ carré, xxxvii-252 p. (Bibliothèque générale des sciences sociales.)

(( Bien des gens, écrit M. Ilauser à la fin de son ouvrage, s'ima-

liALsKi; : ouviiiKRs nu temps passé 79

ginent qu'il n'y a pas eu de question sociale clans les époques an- térieures à la notre. Tout ce livre tend précisément à prouver le con- traire. » L'auteur, en effet, s'est proposé principalement de montrer que les économistes et le public portent sur l'ancienne organisation du travail en France un jugement beaucoup trop rapide, trop simple et trop bienveillant. Cette organisation ne peut guère inspirer une appréciation générale, car elle était très variée, et le système corpo- ratif avait bien moins d'extension et bien plus de diversité qu'on no le croit. Mais, tout compte fait, il n'y a pas lieu, pour l'ouvrier non plus que pour le paysan, de regretter le temps passé; l'injustice, la misère imméritée, l'exploitation de l'homme par l'homme, sont des maux anciens, que la grande industrie, il est vrai, a rendus plus aigus, plus généraux et plus saisissants. La grève des ouvriers typographes de Lyon au xvi<= siècle est un exemple paticulièrement typique, et M. Ilauser a pu écrire : « Rien ne manque à cette crise pour lui donner tout l'aspect d'une grève moderne : ni les demandes d'élévation des salaires, ni les protestations contre l'avilissement prémédité de la iiiain-d'(euvre, ni le recours aux coalitions, ni la violation de la liberté du travail, ni l'intervention du pouvoir communal d'abord, du pouvoir central ensuite. »

M. Ilauser a étudié spécialement la période comprise entre les pre- mières ordonnances de Louis XI sur la législation industrielle, et l'ordonnance de 1581, qui fut un vain effort pour imposer à tous les métiers de France le système des maîtrises. Cette période, telle qu'elle nous est décrite dans le présent livre, n'est peut-être pas aussi typique qu'on pourrait le croire en lisant la préface de M. Hauser. L'organi- sation du travail au xv^ et au xvi'- siècle est souvent décrite par lui d'après des documents bien antérieurs, tels que le Liures des Métiers; et d'autre part on ne voit pas que la Réforme, par exemple, ait eu sur l'évolution industrielle l'influence annoncée d'abord par l'auteur. Ce- pendant cette époque est suffisamment caractérisée par des faits que M. Hauser a bien mis en lumière, comme l'intervention maintenant très active de la royauté dans la réglementation du travail, la forma- tion d'une oligarchie patronale de plus en plus fermée et oppressive, enfin l'apparition d'une industrie mécanique, l'imprimerie.

Le livre de M. Hauser est une heureuse et utile addition à ïfJis- toire des Classes ourrières de M. Levasseur, et conservera sa valeur alors mémo que M. Levasseur aura publié la seconde édition, depuis

80 COMPTES RENDUS

longtemps annoncée, do son grand ouvrage. M. llauser, en effet, ne s'est pas contenté de vulgariser les connaissances acquises, il a fait d'importantes découvertes aux Arcliives Nationales et aux Arcliives communales de Lyon. Sou livre rendra de grands services.

Ch. Petit-Dutaillis.

Gabriel Mehcr, o. S. 13. Catalogus codicum manuscriptorum qui in bibliotheca monasterii Einsidlensis O. S. B. ser- vantur. Tomus I complectens centurias quinque priores, Ein- sidkv, sumptibus monasterii; Lipsia^, O. Ilarrassowitz, 1899; gr. in-8«, xxiv-422 p.

La bibliothèque abbatiale d'Einsiedeln est une des rares collections dont l'existence ait duré sans discontinuer depuis les débuts de sa formation jusqu'à nos jours. L'abbaye fut fondée au milieu du x^ siècle, et elle possède encore des manuscrits écrits par ses moines à cette époque, elle en possède même quelques-uns antérieurs, soit qu'ils proviennent d'autres établissements, soit qu'ils aient été transmis aux moines bénédictins par les ermites qui les avaient précédés au ix'' siècle. Actuellement, la bibliothèque compte 1,500 manuscrits, le présent volume du catalogue se réfère aux 500 premiers, dont près de 400 remontent au moyen âge. La transmission des volumes ne s'est du reste pas faite du moyen âge à nos jours sans quelques accidents, le catalogue lui-même en fournit l'indice; on y rencontre, en effet, la mention de quelques feuillets palimpsestes dans plusieurs manuscrits, feuillets qui rappellent l'existence d'anciens volumes détruits ; on y trouve aussi décrits sous les n''^ 360 à 376 une série de recueils de fragments, ces fragments sont pour la plupart très anciens, certains proviennent de manuscrits du vHi'' siècle, un assez grand nombre, de manuscrits du x*"; enfin à signaler des feuilles de garde, des plats de reliure qui sont des fragments de parchemin portant trace d'écriture.

La collection que fait connaître le premier volume du catalogue est composée, comme toutes les bibliothèques du moyen âge, de bibles, d'homéliaires, de livres liturgiques, de textes des Pères, de recueils canoniques, théologiques, ascétiques, de textes classiques, de manus- crits historiques : les plus remarquables de ces mss. sont connus depuis longtemps; le plus célèbre de tous les manuscrits d'l<>insiedeln est peut-être le célèbre Ilinerarium du vin" siècle (ms. 326), qui a fourni

G. MEIER : CODD. MSS. EINSIDLliNsES 81

aux archéologues de si précieuses indications sur la topographie de l'ancienne Rome et transmis jusqu'à nous le texte d'inscriptions antiques; quelques manuï:crits ou fragments de manuscrits d'auteurs anciens et du haut moyen âge sont intéressants, par exemple un Sal- luste du XI'' siècle (ms. 10, facs.dans Châtelain), des fragments d'Ho- race (ms. 361) et de Térence(ms. 362) dux^ siècle.de Virgile (ms. 365), duix^etduxe siècle, de Végèce (n"365) du x^ siècle, d'Isidore de Séville (ms. 3(35) du vin" siècle, deux Prudence (ms. 312, 316) et un Claudien (ms. 318) du x" siècle. La série des manuscrits historiques proprement dits n'est pas extrêmement remarquable, mais elle est complétée par les nombreuses notes qui se trouvent sur les manus- crits d'ouvrages d un autre genre. A signaler des fragments de Tite- Live (ms. 348) du x'' siècle, un Eusèbe (ras. 347) du viii^ siècle, un Orose (ms. 351) du (ce manuscrit fournit un chap. xlvih diffé- rent de celui qui est dans les éditions), le De Viris illusiribus de saint Jérôme et de Gcnnadius (n" 131), x'^-xi« siècles, un Réginon (ms. 359), avec continuation jusqu'en 939, un recueil des lettres de saint Grégoire (ms. 179 du siècle, des canons de conciles (ms. 199) du vni''-ix'- siècle. Les historiens de l'abbaye ont eu beaucoup à em- prunter à ses manuscrits; certains contiennent en effet des notes anna- listiques, des relevés de biens, etc., par exemple les n"' 29, 319 et 356 (x®-xi" siècles), 113 (xiv® siècle), 83 (xn^-xnie siècles); on trouve des épitaphes d'abbés dans les n^^ 143 et 319 (xi^ siècle) ; le n''236 est un martyrologe hiéronymien avec notes nécrologiques, qui a été utilisé pour l'édition de Rossi-Duchesne; deux autres martyrologes avec additions d'obits sont dans les mss. 116 et 117 ; à citer encore une série de manuscrits de Vies de saints, dont quelques-uns datent du siècle et les autres pour la plupart du xii". Au point de vue paléographique, la collection d'Einsiedeln est intéressante, puisqu'elle présente quelques spécimens d'écriture de la bonne époque carolingienne, mais je n'ai relevé dans le catalogue aucun manuscrit ancien qui fût daté; pour l'ornementation, il y a dans ces manuscrits quelques morceaux qui paraissent intéressants, par exemple les deux miniatures d'un saint Grégoire {Comm. in Ezech.) du siècle et plusieurs livres d'heures du xv« et du xvi® siècles, très richement ornés et illustrés (n''^^ 94, 289- 292). Il faut rappeler enfin que les manuscrits liturgiques de l'ab- baye ont déjà fourni aux liturgistes et aux historiens de la musique des données fort curieuses.

Moyen Age, t. XIII. 6

§2 COMPTES RENDUS

Quant à la rédaction du catalogue, le nom seul du P. Gabriel Meier est un sûr garant qu'elle est excellente: l'éminent bibliothécaire de l'abbaye s'est depuis longtemps fait connaître comme technicien, en exposant dans le CentralblattfurBibliothekswesenlcs règles à observer pour cataloguer des manuscrits ; comme bibliographe, en publiant dans la même revue une bibliographie dos catalogues de manuscrits de la Suisse; comme historien de sa bibliothèque enfin, dans un volume qu'il a consacré à un de ses prédécesseurs du xiv' siècle, Henri de Ligerz. qui a annoté de sa main la plupart des manuscrits indiqués dans le catalogue. Le P. Meier a décrit pièce à pièce tout le contenu des manuscrits, donné les incipit et les expUcit, identifié les textes avec leurs éditions, ce qui représente un labeur énorme, dressé la biblio- graphie de chaque manuscrit lorsqu'il a été décrit, utilisé, vu par quelque savant. Les caractères extérieurs des volumes, annotations, reliures, anciennes cotes, etc., ont été très soigneusement relevés. En somme, le volume est un recueil digne de la bibliothèque, recueil qui fixe pour nous l'ensemble d'une collection que les érudits, depuis deux siècles, n'ont jamais consultée sans profit. A. V.

G. Daimet. Étude sur l'alliance de la France et de la Cas- tille au XlVe et au XV^ siècle, Paris, E. Bouillon, 1898; in-S», 11-273 p. (Bibl. de l'École des Hautes-Études, fasc. 118).

M. D. a tenté de combler un vide regrettable de la littérature his- torique de la guerre de Cent-Ans. L'alliance entre la France et la Cas- tille, au milieu des luttes que notre pays eut à soutenir contre les An- glais, a été longue et plusieurs fois efficace. Et cependant dans la plupart des livres généraux, elle a été à peine indiquée, sinon complètement négligée. Désormais une pareille lacune sera tout à fait inexcusable.

L'étude de M. D. présente des qualités sérieuses: elle est simple, claire, précise; elle fournit les éléments essentiels à la quet^tion. Mais je ne la crois pas définitive, pour plusieurs raisons.

La recherche des documents paraît avoir été trop hâtive. L'auteur s'en excuse presque au début de l'introduction. Les registres du Va- tican, un ms. delà Bibliothèque Nationale, les cartons deCastille aux Archives Nationales, voilà tout ce qu'il a compulsé en fait de docu- ments manuscrits pour compléter les grands recueils imprimés et les

DAUMET : LA FRANCK ET LA fASTILLE AUX XlV ET XV SIÈCLES SJ-?

chroniques. Or. je crois qu'avec un peu de patience et de flair on pouvait trouver bien davantage. La publication du livre eût peut-être (Hé retardée de quelques mois; mais l'œuvre eût été plus pleine, plus pénétrante. En parcourant les recueils de documents du xiv" et du xv-' siècle provenant de la Chambre des Comptes ou d'ailleurs, qui sont conservés à la Bibliothèque Nationale en particulier, on peut faire d'utiles trouvailles; entre autres pièces, je me souviens d'avoir ren- contré dans un volume du fonds français de très curieuses instructions données à Arnaud de Corbie, Jean Le Mercier et autres pour la con- clusion d'un traité avec la Castille. De tels documents eussent rem- placé avec avantage certaines pièces justificatives dont le résumé dans le texte suffisait. La bibliographie présente également quelques lacunes : on aimerait par exemple à y voir figurer la judicieuse Geschichte von Spanien de F. ^\^ Schirrmacher (t. V, Gotha, 1890 .

La conception du sujet est d'autre part singulièrement étroite : énu- mération des ambassades envoyées de part et d'autre des Pyrénées et des traités conclus entre les rois, résumé succinct des négociations et des traités, voilà tout le livre. Or, cette sécheresse ne s'imposait pas. Le sujet méritait d être présenté dans toute son étendue légitime. Au début, on est fort surpris de ne pas trouver un court préambule sur les relations de la France et de la Castille au xni*' siècle, relations qui ont été les préliminaires efficaces de l'alliance du xiv" siècle. Aux plus beaux jours de l'alliance la diplomatie française paraît avoir été bien servie, les affaires d'Espagne étaient traitées par les mêmes diplomates, gens habiles et expérimentés, tels que les deux Jean de Vienne, l'ar- chevêque de Reims, puis l'amiral Morelet de Montmor, Thibaut I locie : il eiit été intéressant de s'arrêter un instant sur de tels personnages, de les faire connaître; ils eussent apporté un élément de vie, sans faire le moindre tort à la rigueur scientifique. Les Espagnols ont été mieux partagés ; ils ont obtenu quelques brèves notices au bas des pages. En dehors de ces diplomates ordinaires, d'autres nombreux chevaliers français ont traversé les Pyrénées, fait pèlerinage et guer- royé en Espagne, s'y sont même établis et y ont fait souche. Ils ont contribué pour leur part, comme au second rang, à entretenir et à resserrer l'alliance. De plus, les relations commerciales étaient actives avec l'Espagne, les navires castillans fréquentaient régulièrement les ports français ; les marchands castillans jouissaient de privilèges spéciaux, notamment dans les ports de la Seine maritime. Sur ce point

84 COMPTES RENDUS

les documents encore inédits abondent. Il eût été nécessaire de donner une meilleure place au côté économique du sujet. Volontaire- ment les affaires du schisme ont été écartées, et c'est encore une lacune grave; car le schisme a réagi puissamment sur toute une série de faits qui en ont été, dans le livre de M. D., trop complètement isolés.

Enfin on aurait pu désirer plus de soin dans le détail. Je ne m'attarde pas à des noms propres mal transcrits comme M. des Noyers pour M. de Noyers (p. 4) ou Jean Danr/ennes pour J. d'Anr/ennes ou (TEn- gennes{p. 73), ni à des inexactitudes de date comme le 20 septembre au lieu du 16 pour la mort de Charles V (p. 46). Mais à la page 27, voici qui est plus grave : M. D. paraît avoir oublié deux années et attribué à 1363 ce qui s'est passé en 1365. Après avoir parlé à la page précédente du traité conclu entre Henri de Trastamare et le maréchal Arnoul d'Audrehem à Clcrmont le 23 juillet 1362 pour le départ des compagnies vers l'Espagne et de la confirmation que Henri vint chercher à Paris^ auprès du dauphin le 13 août, l'auteur ajoute aussitôt : a Les bandes de routiers composées de Français, d'Anglais et de Bretons entrèrent bientôt en Espagne sous la conduite de Bertrand du Guesclin, d'Arnoul d'Audrehem et de Le Bègue de Villaines... Les Compagnies passèrent en Castille. Pierre était venu à Burgos pour tenir tête aux envahisseurs, mais il ne tarda pas à se replier sur Tolède. D. Enrique pendant ce temps... avait réussi à s'em- parer de Calatrava... et se faisait proclamer roi de Castille vers le milieu de mars l"iG3 ». Or^ les compagnies recrutées en 1363 par le prétendant ne traversèrent pas les Pyrénées. Ce n'est qu'un an après que Charles V et du Guesclin, par suite de l'échec de la tentative de l'Archiprétre sur la Hongrie, reprirent le projet espagnol et organi- sèrent un nouveau départ. Par suite, l'installation de Henri sur le trône de Castille qui en résulta est non de 1363, mais de 1365. Voilà qui est assez fâcheux ; car tous ces événements ont été le point de départ de l'étroit resserrement qui se produisit dans l'alliance franco- castillane sous Charles V.

Il n'en reste pas moins que M. D. a fait œuvre d'érudit; et si son œuvre eût gagné à être plus largement conçue et moins rapidement exécutée, elle n'en rendra pas moins de réels services.

A. COVILLE.

I

CLÉMENT-SIMON : LA UUPTUnt: Di; TRAITÉ DE URÉTIGNY EN LIMOL'SIN 85

G. Clément-Simon. La rupture du traité de Brétigny et ses conséquences en Limousin, de l'appel des seigneurs Gascons à la trêve de Bruges (13G8-1377,, d'après des documents inédits. Paris, (Jhainpion, 1898; in-8", 125 p.

L'opuscule de M. C.-S. est une utile contribution à l'histoire mili- taire de la guerre de Cent-Ans dans le centre de la France. Nulle région n'a été plus durement et plus longtemps éprouvée par cette guerre que la région du massif central. Limitroplie entre les posses- sions anglaises et françaises, sans cesse disputée entre les deux adversaires, hérissée de forteresses, très propice grâce à son relief mouvementé pour la guerre de surprise et de brigandagi', elle a eu durant plus d'un siècle une histoire compliquée et navrante. Toutes les pages de cette histoire paraissent se ressembler ; toutes cependant sont intéressantes et émouvantes parce qu'elles nous font mesurer l'abîme de misère tombèrent alors les \aillantes populations de la France centrale.

M. C.-S. a étudié pour Tulle et le Bas-Limousin la courte, mais importante période qui s'étend de 1368 à 1377. Le point de départ de sou travail, ce furent quelques lettres de rémission des Archives Nationales qui nous font connaître la prise de Tulle, de Brive-la- Gaillardeet de quelques châteaux voisins par le duc de Lancastre à la fin de 1373. Mais l'auteur a élargi son cadre. Il a voulu montrer comment en dépit du traité de Calais, en dépit des efforts et des che- vauchées postérieures des Anglais, ce pays est redevenu et resté français sous Charles V. M. C.-S. connaît très bien dans le passé comme dans le présent le pays dont il parle ; ses travaux antérieurs l'avaient déjà prouvé. Le récit qu'il fait des événements propres au Limousin se présente avec beaucoup de clarté et de précision. La cri- tique est d'ordinaire judicieuse et prudente; les notes en font foi à maintes reprises. L'auteur a notamment examiné à la loupe l'annota- tion de S. Luce aux Chroniques de Froissart, et il y a trouvé matière à d'intéressantes rectifications.

Tout cependant n'est pas parfait. M. C.-S s'est aventuré surtout au début de son travail dans l'histoire générale de la guerre de Cent-Ans, et il a été beaucoup moins heureux. Son appréciation du traité de Calais et de sa valeur juridique est assez grossière; il paraît ignorer les récentes recherches sur cette célèbre convention. Le jugement porté sur le régime anglais dans le Midi est fort exagéré : (( Puis

86 COMPTES RENDUS

l'Anglais s'était fait haïr. 11 traitait les possessions acquises parla forée «( eomnie la terre d'un autre » (Michelct), chargeait le peuple d'impôts, éloignait systématiquement les seigneurs du gouvernement et des honneurs » (p. 14). L'intervention anglaise en Espagne, les néces- sités d'une politique aventureuse obligèrent seulement au bout de quelques années le prince de Galles à imposer assez lourdement ses nouvelles possessions, ce fut le pire. L'administration et la justice n'étaient pas plus mauvaises qu'ailleurs. Les seigneurs ne furent pas l'objet de vexations systématiques. Les villes virent souvent accroître leurs privilèges. Il est vrai que l'auteur fait intervenir pour mieux expliquer le mouvement qui, à partir de 13G8, entraîna une partie du Midi vers le roi de France, une haine de race : « Les deux races se connaissaient désormais. Elles étaient contraires, inconciliables. » Froissart paraît en effet l'indiquer. Mais c'est encore une affirma- tion excessive pour le temps. L'initiative de la révolte fut le fait de quelques grands seigneurs gascons mécontents pour des raisons per- sonnelles et séduits d'autre part par l'argent et les belles promesses du roi de France. Les villes suivirent à leur tour pour échapper aux subsides extraordinaires dont elles se croyaient affranchies par leurs privilèges récents, tentées également par les exemptions et avantages de toute sorte que leur offrait à son tour Charles V. C'est encore une idée générale fort contestable que celle-ci : « Charles V ne voulait pas la guerre de parti pris, ne l'avait pas préméditée de longue main, la redoutait » (p. 17). Tout prouve au contraire que Charles V a médité, préparé de longue date cette reprise des liostilités : l'histoire des cinq premières années de son règne le montre surabondamment.

On peut encore reprocher à M. C.-S. certaines lacunes de sa biblio- graphie : il avoue lui-même ne pas s'être servi de la dernière édition de la Chronirjuedu bon duc Loi/s, de M. Chazaud; elle est cependant .acile à se procurer, puisqu'elle a été publiée par la Société de l'His- toire de France. Sur le traité de Brétigny, il eût consulté avec profit I article de M. Petit- Dutaillis paru dans le n^ 1 du Moyen Age, année 1897. Chemin faisant, il eût pu également tirer parti des Gascons en Italie de Durrieu, du Rouer (jae nous les Anglais de Rouquette,du Prince A^oir en Aquitaine de Moisant, malgré les graves défauts de cet ouvrage informe, du Livre de Vie de Labroue à propos de Badefol, etc. La littérature historique de la guerre de Cent-Ans fçrandit très rapidement; pour qui veut étudier même un coin bien

OArDKNZI : I.K SOf IF.TÀ OF.I.I.E ARTI IN ROLOONA >^1

liniilcî de ce vaste domaine, il est indispensable de se tenir au courant. Il est enfin un point de détail sur lequel je voudrais attirer l'atten- tion de l'auteur, plus versé que moi dans les antiquités limousines. Tulle fut occupée stms coup férir par le duc de Lancastre à la fin de novembre ou au commencement de déceni-hve 1373. Brive eut le môme sort quelques jours après. Ce n'est qu'au mois de juillet 1374 que les troupes françaises conduites par le duc de Bourbon vinrent reprendre réellement possession du pays; ce n'est même qu'au mois de décembre 1375 que la ville de Tulle obtint des lettres de rémission pour avoir ouvert ses portes aux ennemis du royaume. M. C.-S. possède un acte de vente dressé à Tulle par le notaire Pierre Olier, daté du 27 mars 1374, on trouve cette formule : Régnante sere- nissimo domino, domino nostro Eduardo Dei gratia Francie et Anglie vex. M. C.-S. s'étonne fort de ce texte : comme il ramène la date du 27 mars 1374 au style de Pâques et qu'il la reporte par conséquent au 27 mars 1373, il ne peut s'expliquer le maintien d'une telle formule après la rentrée des Français. Mais le style en usage alors dans le Limousin pour le commencement de l'année était non pas celui de Pâques, mais celui du 25 mars^. La date vraie est donc bien le 27 mars 1374 ; elle n'est postérieure que de trois ou quatre mois à l'occupation anglaise. Il est vraisemblable qu'à ce moment l'autorité du roi de F'rance n'était pas encore rétablie à Tulle comme elle fut à partir de l'été. Peut-être restait-il une garnison anglaise dans la ville; peut-être en>eore redoutait-on un retour offensif des Anglais. Ainsi se justifie d'elle-même cette formule derrière laquelle M. C.-S. croit entrevoir tant de complications locales.

A. COVILLE.

Gaidenzi (A.). Le Società délie Arti in Bolog-na nel secolo XIII, i loro statut! e loro matricoli. Schiaparelli (L.). Diplomi inediti dei secolilXe X. Roma, E. Loescher, 1899; in-8'\ 167 p. \Ihdletino deW istitato siorico italiano, n^ 21).

I. M. Gaudenzi a déjà publié dans la collection des Fonti per la Storiad'Ilalia le texte des statuts des corporations bolonaises,

1. Deloche, Mode de compatation e/ii/doycù la fin du Xf II" et au commence- ment du XI V sié(de fjoui- dater dans lu Quercy et dans le Bas- Limousin, da.nii le Bulletin du Comité des tracaux historiques, Histoire, 1884, p. 115. Guibert, Des Formules de dates et du commencement de l'année en Limousin, Tulle, 1886.

88 COMPTES RENDUS

et consacré dans le Bnlletino delV ifititiUo stovico (n° VIII) un article aux Società dei Avm.i. Il s'est proposé, dans le mémoire que nous signalons aujourd'hui, d'étudier les conditions générales du déve- loppement des « Sociétés des Arts » h. Bologne. L'examen détaillé des statuts de chacune de ces Sociétés doit faire, de la part de l'érudit ita- lien, l'objet d'un travail ultérieur. II ne faut donc chercher dans celui- ci que l'exposé des caractères communs à toutes les associations, de leurs transformations générales durant le cours du xin'' siècle, et des circonstances dans lesquelles leurs statuts nous sont parvenus.

L'origine des corporations de métiers, à Bologne comme ailleurs, est fort incertaine, et il est plus que conjectural de les rattacher aux collèges d'artisans de l'Empire romain. Kn réalité, les premières asso- ciations de ce genre dont il soit fait mention à Bologne, celles des changeurs et des marchands, n'apparaissent dans l'histoire qu'en 1174. Vn peu plus tard, à la fin du xii'' siècle, une glose d'Azon fait allusion aux Sociétés de métiers, et leur existence est constatée d'une manière plus certaine en 1211. Mais ce n'est qu'en 1228 qu'un soulèvement populaire leur assura une part dans le gouvernement de la cité et que leurs membres furent représentés au Conseil. Ce furent, du reste, pendant un certain temps encore, les Sociétés des changeurs et des marchands, puis celle des « juges et légistes », qui jouèrent, au point de vue politique, le rôle le plus important. La représentation dans le Conseil des diverses associations varia au cours du xm" siècle, et le nombre même de ces associations ne fut pas toujours fixe, car il arriva que certains métiers qui, à l'origine, comme les ouvriers du cuir ou ceux du métal, formaient une Société unique se divisèrent dans la suite en plusieurs corps.

Il n'y avait pas seulement, d'ailleurs, dans ces Sociétés des Arts, des artisans et des ouvriers. Nous venons de parler des juges et légistes. Une des plus importantes, parmi les autres corporations bolonaises, fut , celle des notaires qui, en 1294, comptait jusqu'à deux mille membres et jouait un rôle prépondérant dans la direction des affaires \ Notons encore l'importance spéciale de la corporation des parcheminiers, dont la présence de l'Université assurait le développement. Parmi les gens

1. Au point de vue plus général, M. G. remarque en outre que l'habitude prise par ces nombreux notaires, tous laïques, de rédiger leurs actes eu langue vulgaire, devait les amènera faire de celle-ci l'un des objets de leurs études, et que ce fait ne fut pas sans exercer une influence notable sur le développement de cette langue vulgaire. Nous signalerons encore, comme curiosité, à propos

OA^r)F^^•/.l : i.r. fioriF.TÀ ori.i.f. aihi in noi.ofiNA 89

de métiers proprement dits, les bouchers furent les premiers à s'orga- niser en confrérie militaire en même temps qu'en association profes- sionnelle. Les autres les suivirent durant le second quart du xni^ siècle. Les statuts des corporations bolonaises ne sont pas comme dans d'autres cités italiennes, à Venise, par exemple, des lois imposées aux artisans par le gouvernement de la République. Ce sont des règlements adoptés par les Sociétés elles-mêmes, dans le but de défendre leurs intérêts et de veiller à la bonne police de chaque industrie. Ils ont pour but à la fois de réglementer le travail et d'exiger pour l'entrée dans l'association certaines conditions, destinées à exclure les gens tarés, ou des adversaires politiques tels que les membres de la noblesse. L'organisation intérieure de la corporation est en général imitée de celle de la cité, avec à sa tête des chefs au nombre de trois ou de six, puis de quatre ou de huit, designés d'abord sous le nom de consuls, puis, le plus souvent, sous celui de minisd-ali, et secondés par divers oflîciers (massier, syndic, etc.). Mais le pouvoir souverain, dans la corporation, appartient à l'assemblée générale, qui seule a le droit de modifier les statuts et élitlibrement ses oflîciers. Le principe que chacun était libre d'entrer ou non dans l'association fut respecté durant tout le xnie siècle; mais, de plus en plus, les corporations cherchèrent à contraindre par des moyens indirects tous les artisans indépendants à se soumettre aux statuts des Arts, et cette tendance ne fit que s'accen- tuer à mesure que les Sociétés furent investies d'une part plus grande dans le gouvernement de la cité.

D'autre part, les magistrats de Bologne ne laissèrent pas longtemps les Sociétés des Arts s'organiser et fonctionner en toute indépendance; Ils intervinrent à leur tour pour soumettre les constitutions et règle- ments à la nécessité d'une approbation et d'un enregistrement. C'est vers 1240 que les Sociétés commencèrent à rédiger leurs statuts; dès 1250, elles furent contraintes de les présenter au contrôle des Anciens, et, quelques années plus tard, durent faire enregistrer également les matricules ou listes de membres. La dernière partie du mémoire de M. G. est consacrée à l'inventaire et à l'examen minutieux des docu- ments ainsi enregistrés, conservés aujourd'hui en partie à VArchi-

de notaires, la description (p. J104) d'un dessin illustrant la matricule de ceux-ci, et dans lequel M. A., avec beaucoup d'ingéniosité, a cru reconnaître la repré- sentation (au xni* siècle) du premier « proconsul » des notaires bolonais, le célèbre maitre Rolaiidino Passasieri.

90 COMPTES RENDUS

rio di Siatn de Bologne, en partie dans diverses collections particu- lières. 11 est impossible d'entrer ici dans le détail de cette étude, qui porte à la fois sur les caractèies extérieurs des textes, sur leur succes- sion dans les registres, et sur les particularités de leur formulaire ou les mentions qui les accompagnent. De cet examen, M. G. a cru pou- voir déduire des conclusions relatives à l'ordre dans lequel ont été pré- sentés les statuts des diverses Sociétéset, par suite, à l'époque à laquelle ces corporations elles-mêmes ont été constituées ou réformées, comme aussi à la manière dont s'opérait la correction d'anciens statuts ou l'intercalation de dispositions nouvelles.

La publication in-extenso des mentions de présentation et d'appro- bation des statuts, de 1256 à 1294, termine le mémoire qui constitue donc à la fois une étude historique d'un caractère général sur les Sociétés d'arts et métiers de Bologne, et un relevé descriptif et critique d'une série de documents des plus intéressants pour l'histoire de l'or- ganisation du travail et de l'organisation municipale dans l'Italie du Nord au xni' siècle.

II. En même temps qu'il annonce la publication, dans la série des Fonti, d'un Codex diplomaticus des souverains italiens de l'époque carolingienne, M. L. Schiaparelli donne le texte de huit diplômes inédits de cette période, rencontrés par lui au cours de ses recherches dans les archives capitulaires de Parme et dans celles de l'abbaye de Nonantola, et qu'il a avec raison jugé utile de porter le plus tôt possible à la connaissance des historiens. Le plus ancien de ces documents est un diplôme de l'empereur Gui de Spolète, de 892, en faveur de Wicbod, évêque de Parme; le plus récent, du 23 juin 953, émane de Bérenger II et d'Adalbert; les n''^ II, IV et V sont des actes de Bérenger I^»', le III un précepte de Louis de Provence, donné à Pavie au début de la première expédition de ce prince en Italie. Les autres pièces sont des notices de plaids tenus par divers comtes et misfti royaux.

Les diplômes inédits du ix^ et dux® siècle, surtout les actes royaux, sont assez rares pour qu'une telle publication mérite d'être signalée aux érudits. L'intérêt qu'elle présente, au point de vue diplomatique, est d'autant plus grand qu'à l'exception du n'^ II, copie de la fin du siècle, tous ces textes sont des originaux. L'édition en a été faite avec un soin, et on peut dire avec une élégance, dont VIstituto storico avait déjà donné l'exemple dans le volume de Monumenta Novalicennia

f.ASNO^; : i,i;s jriFS^ D.ws l'.\n<ii:n' nuorr i"I!AN(;ais !)1

il M. Cipolla : l'on voit au premier coup d'œil que M. S. s'est préoccupé de présenter tout ce que les ressources ordinaires de la typographie pouvaient reproduire au sujet des caractères extérieurs des originaux. Chaque texte est en outre précédé d'une notice étendue, consacrée à la description matérielle du document dimensions du parchemin, graphie, abréviations), à l'indication des princi- pales particularités qu'il présente au point de vue diplomatique et des renseignements historiques nouveaux qu'il peut apporter. Nous ne trouvons malheureusement, dans cet ordre d'idées, rien de bien saillant à relever. Le n" III indique la présence de Louis, fils de Boson, à Pavie, un jour plus tôt seulement que l'acte qui était jusqu'à présent considéré comme donnant la date de son couronnement dans cette ville (Bôhmer, Reg. 1455). Les personnages les plus notables mentionnés dans ces actes, en dehors des souverains dont ils émanent, sont l'ex-impératrice Ageltrude, veuve de Gui de Spolète, et l'évêque Adalard de Vérone, qui joua un certain rôle au temps de Bérenger I' '•, dont il fut le conseiller. Les noms de personnes et de lieux ont presque tous été identifiés par l'éditeur, ou, plus exactement, un renvoi est le plus souvent fait aux ouvrages antérieurs, l'on peut trouver les renseignements de ce genre, ce qui ne laisse pas que d'arrêter un peu le lecteur. Mais, en dehors de cet inconvénient, les textes de M. S. peuvent servir de modèle pour l'édition de diplômes originaux de l'époque carolingienne et font très favorablement augurer du recueil annoncé par l'érudit italien, recueil dont il est à souhaiter que la publication ne soit pas remise à un avenir trop lointain.

René Poupardin.

X. Gasnos. Étude historique sur la condition des Juifs dans l'ancien droit français. Angers, impr. de Burdin, 1897; in-8", 255 p. (Thèse de doctorat en droit).

Le titre de cette thèse nous faisait espérer une étude historique de droit écrite par un juriste; c'est plutôt, croyons-nous, un essai histo- rique rédigé par un avocat. L'avocat est tenu d'aborder presque à l'improviste toutes les questions; sa faculté d'assimilation doit remé- dier à l'insuffisance d'une préparation laborieuse qui exige de longs loisirs. Or, la connaissance de l'histoire ne s'acquiert pas par la seule lecture des livres qui traitent de celte science, elle exige une certaine

92 COMPTES RENDUS

discipline, une méthode de travail sévère. M. G. a pris assurément sa tâche au sérieux et consulté tous les ouvrages qui pouvaient l'éclai- rer. Mais on ne s'avise pas de tout. Il consacre, par exemple, un long chapitre à la condition fiscale des Juifs, mais il ignore que Vuitry a écrit sur la matière des pages qu'on peut appeler définitives (dans son Régime financier de la France), et il s'expose ainsi à un parallèle dangereux. Il a trouvé dans une étude peu scientifique du chanoine Cochard (La Jidverie d'Orléans) un long récit de la trahison des Juifs d'Orléans qui, en 1009, écrivirent au kalife Ilaken de détruire l'église du Saint-Sépulcre, mais il ne sait pas que le comte Riant, auquel on ne saurait refuser quelque autorité en ces matières, a démontré l'absurdité de cette fable {Inventaire critique des lettres historiques des Croisades). Par contre, M. G. sait que dans les écoles supérieures les élèves juifs apprenaient les principes mystérieux de la Kabbale; en quoi il fait preuve d'une science que lui envient ceux qui sont versés dans la connaissance de la littérature hébraïque du moyen âge. Parle même don de divination, M. G. a reconstituéle langage tenu par les Juifs, à leur entrée en France, aux rois mérovingiens Laissez- nous libres de faire le commerce et de pratiquer la banque et l'usure dans vos États, affermez-nous les péages de vos frontières et chargez- nous de percevoir vos impôts, nous ferons rentrer dans vos coffres plus d'argent que vous n'en avez jamais reçu. » C'est de l'éloquence, nous n'en disconviendrons pas ; mais l'éloquence n'est pas l'ennemie de la science. Or, ce petit discours soulève quelques difîicultés. Première- ment, ce n'est pas à leur entrée en France que les Juifs ont pu s'ex- primer ainsi, puisqu'ils y ont précédé l'arrivée des Francs, ce serait tout au plus à l'entrée des Mérovingiens en Gaule. Secondement, les Juifs de ce temps pouvaient avec quelque peine parler de banque et d'usure, puisque c'est après le XI"^ siècle que pour la première fois ils se livrèrent à ce métier. On n'attend pas de nous que nous suivions pas à pas M. G. dans son étude; il nous faudrait pour une critique détaillée tout un volume. Nous aurions souvent à le louer cependant, car s'il n'apporte aucun renseignement inédit, ou n'expose aucune idée nouvelle, il montre dans la discussion et la composition qu'avec une meilleure préparation il aurait pu nous donner un bon livre.

I. L.

.1. I AMIS : N'ALKNTINR VISCONTI 93

Jules Camus. La venue en France de Valentine Visconti, duchesse d'Orléans, et l'inventaire de ses joyaux apportés de Lombardie. Turin, Casanova, 1898; gr. in-8", 04 p.

M. Camus, séduit par l'aimable figure de Valentine Visconti, qui,

A bon droit doit de tous estre louée,

comme le dit Eustache Deschamps, publie aujourd'hui rinvenlaire des joyaux qu'elle apporta avec elle en venant trouver en France Louis de Valois, père de Charles VI, qu'elle allait épouser. Mais cet inventaire, qui ne nous est pas tout à fait inconnu, puisque La- borde, Corio, Muratori, Lûnig nous en ont déjcà parlé, est pour l'érudit auteur l'occasion de mettre en lumière autour de cette gra- cieuse figure, les détails qu'il a patiemment réunis et qui éclairent un peu la biographie de la duchesse d'Orléans. Il détermine d'abord sa filiation : elle est bien fille (comme le dit Moréri), de Jean Galéas Visconti, comte de Vertus, et non sa sœur, comme le croit Mura- tori. Et il pense, d'après des lettres de sa mère Isabelle, conservées aux archives de Mantouc, qu'elle naquit en 1370 ou 1371, et non en 1366, comme le dit Corio.

M. G. la suit dans les dijfïérentes négociations de ses mariages; d'abord avec Charles Visconti, puis avec un des frères de Wenceslas, roi des Romains, enfin avec Louis de Valois, et il signale les fêtes splendides données à Milan à cette occasion, qui durèrent jusqu'au 22juin 1389, enfin l'arrivée en France delà princesse, qui entre à Paris le 17 aolit. C'est à cette époque que fut dressé l'inventaire qui suit, dont M. C. a découvert aux Archives Nationales le texte français, rédigé en présence de Philippe de Florigny et de Jean de Garencières.

Il comprend 229 articles; ils sont précieux pour les richesses qu'ils relatent, mais ne contiennent aucune mention de nature à spécialement nous intéresser. Le texte est bien édité, bien commenté, je ne serai en désaccord avec l'auteur que sur trois points.

32. C'est un demi-cerf q\ non un demi-cercle qu'il faut lire. Nous sommes en effet dans les fermaux avec des animaux : biches, daims, pélicans, tourterelles; de plus, le cerf se retrouve ici en maint endroit comme pièce d'armoiries.

N" 90. Ce n'est pas vriolez qu'il faut lire. Ainsi écrit, le mot a fait longuement chercher : c'est beaucoup plus simple. Ce ne sont pas des

94 COMiniïS RENDUS

« couteaux à manche d'ambre Ariolez d'argent doré », ce sont des couteaux rirolés d'argent, à virole d'argent.

N^' 211 . L'argent rerc m'a toujours paru être de l'argent recouvert de cet émail translucide comme du verre, d'une épaisseur imperceptible, qui conservait à la matière qu'il recouvrait un brillant inaltérable.

F. DE MÉLY.

A. FiAM.MA/./.o. Il commento dantesco di Alberico da Rosciate, col proemio e fine di quello del Bambaglioli. Notizia da codice Grumelli... —In Bergamo, dall' istituto italiano d'arti gra- ficbe, 1895: in-8^ 67 p.

La question de l'origine et de la filiation des plus anciens commen- taires de la Divine Comédie est une des plus ardues et une des plus intéressantes de la littérature dantesque; voici un opuscule qui l'éclaircit sur un point resté jusqu'ici assez obscur.

Tandis qu'un inconnu traduisait en langue vulgaire le commentaire latin de ser Graziolo de' Bambaglioli, Alberico da Rosciate tournait en latin le commentaire italien de Jacopo dolla Lana. Cette traduction d'Alberico n'est pas, comme on a pu longtemps le croire, une repro- duction pure et simple de l'original; des différences plus ou moins sensibles entre les deux textes avaient déjà été aperçues par plusieurs critiques; mais M. Fiammazzo, dont les études dantesques ont une réputation méritée au delà des Alpes, a poussé l'examen de cette soi- disant traduction d'Alberico, beaucoup plus loin qu'on ne l'avait fait jusqu'à présent. Nous ne pou\ons ici le suivre dans les développements qu'il donne à sa démonstration ; mais nous en retiendrons les conclu- sions, qui sont celles-ci : Tout porte à croire que, tout d'abord, Albe- rico a donné une traduction assez fidèle de la plus grande partie du commentaire de Jacopo, peut-être à mesure que celui-ci paraissait, en^ y faisant passer à peu près dans son entier le commentaire de Graziolo de' Bambaglioli sur V Enfer; puis, reprenant son travail, il aura con- sacré ses loisirs à le corriger, à l'amplifier, bref à le remanier. De deux rédactions principales de celte traduction, représentées, la pre- mière, par le manuscrit de la Laurentiennc, dont M. F. donne plusieurs extraits, et par cinq autres exemplaires, tous les cinq incomplets; la seconde, par le manuscrit probablement unique de Bergame, connu sous le nom de manuscrit Grumelli, la plus récente (1401) et en même

I i

AUNDT : DIE SPUACIlt: I)EU BRESLAUER KANiCLEI 95

temps la plus précieuse, à tous les points de vue, des copies de cette œuvre d'Alberico; et ainsi, cette œuvre, qui dans l'histoire de l'exégèse dantesque, viendrait se placer chronologiquement entre celle de Pietro di l>ante 1340) et celle de Boccace (1373), comblerait une grave lacune. A la seconde rédaction se trouvent en outre mêlées certaines interpolations dans lesquelles, d'après M. F., Alberico ne serait pour rien.

Sans doute le dernier mot n'est pas dit sur le commentaire d'Albe- rico, dont plusieurs exemplaires seraient encore à examiner de près, pas plus que sur le commentaire original de Jacopo délia Lana; mais, en attendant une édition critique définitive de l'un et de l'autre, le travail, très précis, de M. Fiammazzo a largement déblayé le terrain ; on ne pourra pas ne pas en tenir grand compte.

L. AUVRAY.

Biuno Arndt. Der Uebergang vom Mittelhochdeutschen zum Neuhochdeutschen in der Sprache der Breslauer Kanzlei. lireslau, M. und II. Marcus, 1898; in-8"', 118 p.

M. Bruno Arndt fonde son étude de la langue de la chancellerie de Breslau sur des chartes et autres documents officiels dont le plus ancien est de 1352, le plus récent de 1560. Il en doinie une phoné- tique très détaillée, puis les formes grammaticales les plus remar- quables; l'ouvrage se termine par l'étude de quelques particules et par un glossaire des termes intéressants. On consultera avec fruit ces relevés pour lesquels M. B. assure avoir vérifié sur les originaux la véritable leron, reproduite inexactement dans des textes publiés au point de vue de l'histoire des faits plus que de l'histoire de la langue. La conclusion, qu'il était facile de prévoir, est que les plus anciens textes présentent les caractères propres à l'allemand moyen, et que l'inlluence de la chancellerie impériale, qui a introduit des formes de haut-allemand (bavarois-autrichien), d'abord nulle, est devenue chaque jour plus forte; enfin que dès le milieu du xvi^ siècle, la langue employée est déjà l'allemand moderne, c'est-à dire l'allemand moyen

fortement imprégné du haut allemand.

Louis DuvAU.

1. Forme le 15' fascicule des Gcriaaiiisti.<i:lic Abhandluiiijcn publiées sous la direction de V. Vo"t.

CHRONIQUE

La collection des Manuels Hœpli s'est accrue d'un nouveau volume inti- tulé Du^to/if/zv'o (li aUhreciai are latine ed italuine {M.\\aii\o, Hœpli, 1899; in-12, Lxxi-435 p.) à M. Adriano Cappelli, archiviste à l'Archivio di Stato de Milan. Le dictionnaire contient plus de 13,000 abréviations; cliacune d'elles est accompagnée de sa transcription et de la date. Il est suivi d'une série de tableaux reproduisant les signes conventionnels, les abrévia- tions propres aux œuvres médicales, les signes de la numération romaine et de la numération arabe, les principaux monogrammes des souverains, les sigles et abréviations épigraphiques. Dans l'introduction, l'auteur a exposé le système abréviatif du moyen âge. Il y a joint les fac-similés de quatre documents des Archives de Milan, savoir : un acte de donation de la com- tesse Mathilde, juin 1114; un acte d'afîranohissement du monastère de S. Maria de Bologne, 24 février 1182; un acte d'élection d'un professeur de droit à l'Université de Bologne, 8 juin 1292; une page d'un manuscrit du Confcssionariuin de frère Antonin de Florence, xv° siècle.

M. P.

*

* *

M. K. Déprez, membre de l'Ecole française de Rome, a entrepris de donner un catalogue des bulles originales du xiv° siècle, et subsidiairement du xiif, conservées dans les Archives et bibliothèques Italiennes {Recueil des documents pontificaux consercès dans dicersrs Archices italiennes, XIIP et XIV' siècles. Rome, E. Lœscher e C", 1900 ; in-8", 28 p. Extr. des Quellcn und Forschunr/en ans italienischen Archiren und Bildiotliehen). Ce catalogue servira à contrôler les textes dérivés des Archives pontificales, et aussi, lorsqu'il présentera un ensemble assez considérable, permettra de compléter les séries de documents fournies par les Archives du Vatican et de reconnaître quels sont les registres de la chancellerie pontificale qui ne paraissent pas nous être parvenus. M. E. Déprez, qui connaît fort bien les Archives du Vatican, a pris soin, en effet, d'identifier toutes les réfé- rences, accompagnant la mention d'enregistrement qui figure au dos des originaux; quelques-unes de ces références ne sont plus identifiables; d'autre part, bon nombre d'actes ne portent aucune mention d'enregistrement et ne se retrouvent naturellement pas dans les registres. Le premier relevé

ClIKONMQl li Ùy

publié par M. Déprez se léfcre à l'Archivio coQiuiiale de Pérouse, il con- tient l'analyse de deux bulles de Clément VII et de 61 de Jean XXII.

A. V.

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La biographie de Guillaume Du Breuil, le céli-bre avocat au Parlement, l'auteur du Sti/lus niri/r parlanwnti Fidnriœ, est loin d'être parfaitement connue: quelques lettres pontificales publiées parM. E. Déprez {CIrinrnf VI et Guillaume du Brcuil . Rome, impr. de P. Cuggiani, 1809; iii-8% 12 p. Extr. des Mè/aïujfs d'Arrkrolof/ii' et d'Histoire) ajoutent d'inté- ressants renseignements à ceux qu'on possédait déjà sur Du Breuil, Avocat de Robert d'Artois, il passait pour être rentré en faveur après une disgrâce momentanée; il n'en est rien, car, en 1340, il était poursuivi pour crime de lèse-majesté, c'est-à-dire pour crime politique, et, en 1343, il était encore enfermé dans les prisons royales ; le 25 octobre 1343 Clément VI écrivit à Philippe M, à la reine et à Jean, duc de Normandie, en faveur de Du Breuil, demandant qu'il fût soustrait à la juridiction du Parlement et déféré en sa qualité de clerc, à la justice d'Église; en 1345. Du Breuil étant mort, Clément VI écrivit encore au légat, le cardinal Etienne Aubert, plus tard pape sous le nom d'Innocent \'\, afin qu'il intercédât auprès du roi et de la reine en faveur de la veuve et des enfants de Du Breuil. A. V.

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M. G. Des Marez, qui prépare un important travail sur les origines des papiers de crédit, et spécialement de la lettre de foire, a eu l'occasion d'étu- dier environ 8,000 chirographes du xm' siècle conservés à Ypres, il a cons- taté que chaque acte, à partir de 1283, portait au dos un signe particulier qu'il a reconnu, en rapprochant les signes de forme identique et <